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Gaya sur sa lune
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13 septembre 2008

Le roi de Mycènes : VII

L’aube n’est pas loin : c’est Phoebus qui se réveille. Je me lève. Les caravanes des marchands sont encore fermées. Je parcours le petit camp désert. Deux ânes sont dans un coin. Ils sont ceux du convoyeur de sel. Celui ci dort sous une tente, à côté. Peu à peu, tous se réveillent et les rideaux s’ouvrent. J’aperçois alors un jeune garçon, à peine plus âgé que moi. Il dort sous un arbre. Je vais à lui et le réveille.


-« Que fais-tu là ? Tu ne dors pas dans une caravane ? »


Il me regarde les yeux hagards et laisse échapper un juron. Je comprends alors. Chacun à leur tour, ces gens ont établi des tours de garde et c’était le sien. Je m’en vais, je ne dirais rien.


Je décide qu’il vaut mieux faire des réserves de nourriture. Je récupère mon arc. Je sais que dans ces coins là, la meilleure nourriture est encore la cueillette, mais je ne désespère pas de trouver un lapin, en attendant que le convoi se mette en route.


J’en attrape un assez rapidement en fait. Un assez gros lièvre. Je le garde avec moi, pour ce soir. Je rentre rapidement. L’Egyptien est levé.


-« Te voilà petit ! Déjà levé, déjà rentré de la chasse ! Tu ne perds pas de temps. Avale quelque chose, j’ai peut-être besoin de toi. »


Je n’ai pas faim, je ne mange pas le matin. C’est une habitude que j’ai prise. J’attends qu’il me dise quoi faire. Il me donne un seau et me montre comment traire ses chèvres. Le contact me répugne, mais je le fais quand même. Ce n’est pas très compliqué, mais je suis beaucoup plus lent que lui. Je n’en ai trait que deux, ce matin là, tandis qu’il a eu le temps de faire tout le reste.


Il s’amuse de ma gaucherie et de ma concentration extrême pour ne traire que deux chèvres ! D’ailleurs, il n’est pas le seul à rire. Je l’avais soudain entendue, dans mon dos, mais lorsque je me retourne enfin, elle est déjà partie.


Lorsque la traite est finie, le marchand attache ses bêtes à la charrette. Quelques minutes plus tard, tout le monde a fini de se préparer pour le départ. Celui ci se fait alors, avec beaucoup de cris et de boucan. La petite ville roulante prend soudain vie. La roulotte de l’Egyptien est en début du cortège et je m’assois à l’avant de celle-ci, à côté de mon ami qui fait avancer ses bœufs à l’aide d’une longue perche flexible.


-« Petit, va à l’arrière pour surveiller les chèvres. Je sais qu’elles sont attachées, mais je vis dans la crainte qu’elles ne réussissent à partir. »


J’obéis. La matinée s’annonce monotone : chacun de notre côté avec nos animaux. Ce silence n’est pas beau comme celui de la chasse, il est triste et encourage les mauvaises pensées. L’homme qui nous suit n’a pas l’air plus bavard. Heureusement, Horus est là. Le chien s’est posé à mes côtés, mais il n’est pas non plus très communicatif.


-« Dis-moi l’Egyptien, l’Egypte, c’est grand comme cité ? »


L’homme lâche les rênes, les bêtes connaissent la route, et vient vers moi.


-« Ne m’appelle pas l’Egyptien, petit. Si tu m’appelais plutôt maître ?

-Maître, ce sont les esclaves qui le disent. Je ne serais l’esclave de personne ! »


Je commence à me méfier de son visage amical.


-« Maître, c’est aussi ainsi que l’élève appelle son professeur. Je pourrais être ton professeur jusqu’à Mycènes. Qu’en dis-tu ?

-Maître, l’Egypte, c’est grand comme cité ?

-Ce n’est pas une cité, c’est un pays. Le roi s’appelle le pharaon. C’est une sorte de Dieu humain, qui règne sur la basse et la haute Egypte. Là-bas, la plupart des hommes sont presque noirs. Encore plus que moi, bien plus. Horus est un dieu des Egyptiens.

-Pourquoi t’appelle-t-on l’Egyptien si tu n’en es pas un ?

-Mais j’en suis un, en quelque sorte, mon garçon. J’en suis la moitié d’un, si tu veux. Mon père était marchand, comme moi, mais ma mère était Egyptienne. C’est tout. »


Il repart à l’avant. Se remémorer son père devait peut-être lui être dur. En tout cas, c’était probablement d’Egypte que le maraîcher tenait ses marchandises.


Je regarde devant moi. Elle est là. Elle se tient à côté de son père qui conduit son attelage. Mon cœur se gonfle. Il y a un chariot entre nous, mais nous nous regardons dès que nous le pouvons, à chaque virage à gauche ou lorsque l’une des trois caravanes dévie de sa trajectoire. Je ne distingue pas ses yeux gris pleins de lumière, mais je les imagine. On m’appelle alors à l’intérieur et j’y vais à contre cœur.


-« Petit, viens manger ! Nous ne nous arrêterons pas pour midi. Nous sommes dans une région maudite et il faut la traverser au plus vite. »


Les bœufs connaissent le chemin.


Le colosse me donne du fromage et des légumes. J’accepte, me promettant de lui rendre ce repas dès que je le pourrais.


L’après-midi, je descends de la roulotte malgré les avertissements de mon maître et ramasse des fraises sauvages que j’avais remarquées en quittant ma forêt. « Cet endroit, m’avait dit le géant, est maudit. Il vaut mieux être perché en le traversant. » Je lui avais alors répondu que les dieux m’avaient épargné à ma première traversée, alors pourquoi pas à ma deuxième ! Il a simplement haussé les épaules et ajouté un « je t’aurais prévenu ! ».


Je prends du retard, mais je sais qu’en courant, je le rattraperais aisément. Deux caravanes m’ont doublé lorsque j’entends un petit bruit sur ma gauche. Ma belle me dit de monter à l’arrière de sa carriole, avec elle. J’y vais sans hésitation. De là où on est, son père ne peut pas nous voir, masqué par le tissu de la caravane. L’homme en face de nous fait semblant de ne pas nous voir, mais il esquisse involontairement un petit sourire.


-« Ne va-t-il pas nous trahir ?

-Non, il serait heureux de me voir causer avec un gredin.

-Je ne suis pas un gredin ! »


Elle me sourit. J’aime ce sourire.


-« Pour lui, si ! »


Je partage avec elle mes fraises. Ce sont des fruits sauvages et elle n’en a jamais mangé non plus. Elle adore. Je suis heureux d’être avec elle, mais je n’ose rien dire ni rien faire devant le regard de l’homme posé sur nous. Alors on ne se parle pas. Elle pose juste sa tête sur mon épaule. A chaque soubresaut de la charrette, j’ai peur de lui faire mal, mais elle ne se plaint pas. J’ai envie de lui caresser les cheveux, mais je n’ose pas. Je laisse ma tête aller sur la sienne.


Elle se relève brusquement. On tourne à gauche. Je reconnais le carrefour et le chemin qui mène aux ruines de mon village.


-« On dit que cet endroit est maudit. Moi, il m’a toujours attiré. Tu vas rire, mais j’ai toujours rêvé d’être une grande femme, courageuse et solitaire, bravant les dangers, et j’irais là-bas, pour en percer les mystères. Tu ne te sens pas attiré ? »


Elle me serre le bras et j’ai mal, mais mon cœur exulte.


-« Je suis plutôt attiré par Mycènes, en ce moment…

-Un vrai marchand, déjà. »


Je sens dans ses paroles une pointe de déception. Elle a lâché mon bras. Que fallait-il donc que je lui dise ? Que c’est là-bas mon village et que je pars le venger ? Reprend moi le bras, repose-moi la question. Je veux te dire qui je suis. Je ne peux pas.


-« C’est quoi, cette histoire de malédiction ? »


Elle est contente que je lui pose cette question, puisque c’est son coin mythique.


-« Il y a trois ans, des soldats de Mycènes ont rasé un village, au bout de cette route. Mon père n’y était jamais allé. C’était un simple village de bûcherons et de chasseurs. Les troupes n’avaient pas réussi à conquérir Olympie, alors elles se sont vengées sur ce village. On dit que c'est Iorlas, le propre cousin du roi de Mycènes, qui dirigeait l’attaque. Bref, l’endroit a été rasé complètement. Quelques jours après l’attaque, des marchands ont vu que de grandes fumées sortaient du village, mais ils ne se sont pas aventurés plus loin. Pendant plusieurs jours, cette fumée à continué à monter dans le ciel alors que tout le monde était mort. Après quelques mois, des marchands y sont allés, ainsi que des soldats, mais ils n’ont trouvé aucun cadavre, seulement des cendres. Là, toutes sortes d’histoires existent. Certains disent que les furies ont trouvé refuge ici, mais d’autres disent que c’est l’esprit d’un petit garçon qui erre là-bas en réclamant vengeance. On dit que ses yeux sont rouges de colère, sa peau bleue de meurtrissures, ses cheveux dégoulinent de boue et sa tunique est en loque. On dit aussi que lorsque le feu des dieux s’abattra à nouveau sur cet endroit, celui-ci sortira pour accomplir sa vengeance. »


Je m’amusais de la description de mon âme. Même Cerbère aurait peur ! Elle murmura :


-« On dit aussi, dans la caravane, que l’enfant est sorti, car avant que tu arrives, deux cavaliers de Mycènes nous ont rencontrés et nous ont averti qu’une grande fumée s’élevait de la grande forêt, et donc du village. De là où on était, on a aussi vu un mince filet gris se découper dans le ciel. Moi j’espère que cet enfant retrouvera la paix, parce que la vengeance est une mauvaise chose. Les criminels seront jugés devant la cour des dieux, personne n’échappe aux trois juges et j’ai peur que sa colère ne le condamne aussi. »


Nous restons des heures à réfléchir à ces paroles. Elle a reposé sa tête sur mon épaule. Je serais bien resté plus longtemps avec elle, mais le soir serait bientôt là : je devais rentrer.


En doublant sa charrette, son père me regarde avec un air de suspicion supérieure.


-« Où étais tu, toi ?

-Je cueillais des fraises.

-Et t’es pas fatigué de marcher ?

-Non, je suis un chasseur.

-Je ne vois pas ton arc et tes flèches !

-J’en ai pas besoin pour ramasser des fraises.

-Et où sont elles ?

-Dans mon ventre. »


Je le quitte en retenant un rire, il ne sait plus quoi dire. J’arrive enfin à la roulotte du colosse.


-« Où étais-tu donc passé ?

-Je cueillais des fraises !

-Tu m’en a laissées, au moins ?

-Je suis désolé – confus était le mot – je voulais, mais je les ai données.

-A qui ? »


Je ne réponds pas. Il comprend quand même.


-« Tu n’es qu’un imbécile !

-Je l’aime.

-Il faudra que tu la quittes, arrivé à Mycènes ! »


Je n’y avais pas pensé ! Le monde s’écroulerait que ça ne serait pas plus grave. J’allais devoir la quitter. Ô père, que cette promesse que tu m’as fait faire est dure ! Qui est la plus importante pour toi ? Ta mère ou elle ? Ton père ou le sien ? Ta promesse ou cet amour que tu crois exister en toi ? Ressaisis-toi : tu es un homme, tu as une mission et tu as cette épreuve : une amourette de passage, qui partira aussi sûrement qu’elle est venue.


-« Et que vous êtes vous raconté, là-bas ?

-Elle m’a dit l’histoire du village maudit.

-Suis-je dans le vrai en avançant que tu sais encore mieux qu’elle ce qui s’y est passé ? »


Je ne réponds pas. Il sait tout. Comment ? Qui le lui a dit ? Etait-il là il y a trois ans ? Qui est-il réellement ? Je ne me souviens pas avoir vu un tel géant, ce jour-là, mais je n’ai pas non plus vu toute l’armée ! Marchand qu’il dit ? Balivernes sûrement. Je ramasse mon arc, c’est plus sûr.

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