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Gaya sur sa lune
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21 septembre 2008

Le roi de Mycènes : XV

Pendant deux mois je vais la voir le plus régulièrement possible. Parfois c’est elle qui n’est pas au rendez-vous, car son statu de servante, je n’ose pas dire esclave, bien trop affreux, l’oblige à rester dans la demeure pour ses travaux.


Mon maître va mieux. Voilà une semaine qu’il a même repris du service. Cependant il s’est habitué à me voir partir les après-midi et ne me demande pas de comptes là-dessus.


Aujourd’hui encore je vais la voir. Pendant une demi-heure, on reste en silence, dos à dos, tête contre tête, avec la barrière pour nous séparer. D’habitude on se raconte nos journées.


-« Je ne peux plus te mentir, Achilloüs. Tu dois arrêter de venir me voir ! »


Voilà ce qu’elle me dit tout à coup, alors que j’écoutais sa respiration qui apaisait mon cœur.


-« Et pourquoi cela, pourquoi de telles mesures ? Quelqu’un nous a-t-il vu ensemble et nous a-t-il dénoncé au prince ? »


Elle ne répond pas tout de suite. Pour moi, aucune raison ne peut être valable qui nécessite que l’on ne se voie plus. Elle baisse la tête, comme si elle avait peur de me regarder dans les yeux. Je commence à craindre quelque chose de terrible.


-« Il ne s’est rien passé de tel. En fait… Je suis enceinte ? »


Boum ! Le monde s’effondre ? Non, je n’ai rien compris, je n’arrive pas à assimiler l’information.


-« Quoi ? »


Elle plonge ses yeux dans mon regard, à l’affût de ma réaction.


-« J’attends un bébé ! »


Finalement, l’explication n’est pas superflue. La nouvelle de l’heureux événement est enfin comprise. Sur le coup, je ne sais plus que penser. Un bébé, où est le problème ? Il n’y a pas de quoi se mettre dans des états pareils ! N’est-ce pas le rôle de tout le monde, de laisser une trace sur cette terre de son passage ? Un bébé, n’est-ce pas magnifique ? Peut-on être contre la vie ? Un bébé, c’est l’amour, c’est l’amour d’une mère, c’est l’amour d’un père ! Je me revois à la maison. Je suis tout petit, quatre ans peut-être, cinq pourquoi pas. Le feu brûle dans la cheminée. Il sera bientôt l’heure de dormir. Je suis fatigué mais je bois les paroles de mon père qui raconte une histoire. Ma mère sourit en écoutant dans son coin, filant de la laine. Elle fait une tunique, pour moi peut-être. C’est si beau un foyer que j’en suis bouleversé, j’avais oublié. J’imagine Neaira à la place de ma mère… Mais je ne vois personne à la place du père ! Qui est-ce ? Elle ne m’avait jamais parlé de lui ! Je savais bien qu’elle ne m’aimait pas, mais je ne m’étais jamais douté qu’il puisse y avoir quelqu’un d’autre dans sa vie ! Je désirais trop l’avoir pour moi ! Mon maître a raison, les rêves ne sont jamais qu’illusions ! Regarde-toi, homme de rien, serviteur de ton ennemi ! A quoi bon rêver de gloire ! A quoi bon penser au futur ? Qui te l’a demandé ? Personne ! Meurs en homme, accomplis ta vengeance et meurs ! Tu n’as rien à espérer d’autre.


-« C’est qui ? »


Elle comprend tout de suite de quoi je veux parler.


-« Mon maître, le cousin du roi, le seigneur prince. »


Elle ajoute tout bas :


-« Iorlas… »


La révélation m’est insupportable. Je la quitte. Elle ne me rappelle pas et je ne me retourne pas. Désolé, mon ‘’amie’’, mais ton enfant vivra sans père. Je vais te faire veuve plus tôt que prévu ! Que le courroux des dieux soit sur toi ! Je souhaite à ton bâtard de ne point vivre, car je décide dès maintenant de supprimer aussi la sale engeance du prince. Tant qu’il me restera des forces je sèmerais la mort. On dit que la vengeance attire la vengeance, mais encore faut-il avoir quelqu’un contre qui se venger. Pour moi il n’y aura nulle descendance, ni fils ni filles, seulement la mort. Je vois à présent la cruauté du monde et les mensonges de chacun et cette terre de sauvages n’est pas faite pour moi ! N’est-ce pas étrange que de voir que mon village, apparemment plus civilisé que Mycènes, soit celui qui tombe le plus vite ? Non en vérité. La bonté des miens s’opposait à la vilenie des autres. Si la civilisation de mes pères m’interdit de semer la mort, la loi des dieux m’oblige à venger mes morts comme je l’ai promis et à punir les coupables. On ne peut s’opposer à la loi divine. Je combattrais le mal : tel est mon destin héroïque et noble. Je n’en aurais pas d’autre et je n’en veux plus d’autre. C’est la punition pour mes rêves fous et puérils. Je suis un homme ; il est temps de me comporter comme tel. Ca y est, je suis enfin décidé et déterminé. Je sais enfin où je vais.


Je regarde les gens autour de moi. Personne ne sait ce qui se trame sous leurs yeux, personne ne fait attention à moi, jeune homme svelte et avenant ! Je ne me sens ni monstre ni meurtrier, je me sens homme, qui tient sa parole. Je me sens fier.


Lorsque j’arrive chez mon maître cependant, je suis déjà moins enthousiaste. Je la sais encore vide car Dallès doit toujours être en poste au palais.


Quelle est cette tristesse infinie et invincible qui enveloppe mon cœur au point de le briser, cette douleur insoutenable qui m’affaiblis ? Et mon arc, où est-il ? Cela fait tant de temps que je l’ai abandonné, cet unique souvenir de mon père… Je ne me souviens même plus de son visage… Je le revois étendu par terre, si serein, mais un voile semble obscurcir son visage. Retrouverais-je un jour ses traits ? Reverrais-je un jour mon arc ?


Je me suis trompé, mon maître est là. Il m’attend. J’ignore depuis combien de temps il est assis sur ce siège. Il a l’air saoul. Cela vaut peut-être mieux pour lui, il souffrira moins lorsque je viendrais l’occire. A mon approche, il m’appelle.


-« Xilantès ! Ou plutôt devrais-je dire Achilloüs ! N’est-ce pas ? Ce nom semble resurgir tout droit des enfers. Quand tu es revenu dans ma vie, t’ai reconnu tout de suite. Pas changé… Mal à croire que c’était pas ton cas vu ton expression quand je me suis montré à toi. Les dieux avaient enfin décidé de me punir… Tu as hanté mes rêves si souvent… Je te voyais en délivrance… Mais tu ne m’as pas tué ! Je t’ai pourtant appris les armes ! Je t’ai amené devant Iorlas, tu l’as pas tué… Malade tu m’as soigné… Personne aurait rien dit si tu m’avais laissé crever… Pourquoi tu tortures mon esprit ? Qu’attends-tu de moi ? Je ne te comprends pas ! Mais tu as raison sur un point : les rêves c’est une question de vouloir. Ma vie n'a servi à rien. Maintenant je veux la paix et je vais l’obtenir. Je veux t’aider, mais comment ? A quoi je te sers ? »


Que répondre à cela ? Et encore faut-il pour que je réponde, que je me remette de la question posée. Dois-je dire la vérité ? Il en connaît une si grande partie que je ne vois pas pourquoi je devrais lui cacher la fin.


-« Ne vous souvenez-vous pas de cette journée ? Je cherche ce que vous m’avez ravi ! »


Il semble réfléchir.


-« Tu cherches les survivants ? Non, y en a trop ! Quelqu’un ? Oui, j’y suis, une femme, c’est ça ? Qui ? Ta mère peut-être… Je me souviens très bien, elle t’appelait… Sais pas où elle est, mais Iorlas… Doit savoir, lui ! L’a gardée quelques semaines… On ira le voir ! Demanderais une audience ! Peut-être long mais après je serais libre. »


Il s’arrête de parler. Je ne bouge pas. Les dieux doivent vraiment être avec moi ! Il suffisait que je veuille mettre ma vengeance à exécution pour que les éléments de la résolution de mon problème arrivent d’eux-même ! Je me demande seulement pourquoi il ne me dit ça que maintenant. Il pouvait me faire ses confidences plus tôt ! Décidément, quel étrange bonhomme ! En tout cas je suis heureux que notre histoire l’ait torturé à ce point. N’est ce pas que justice, après ce qu’il a fait aux miens ?


Vois-je enfin la fin de mon périple pour retrouver celle qui m’a donné le jour ? J’ai du mal à le croire ! Retrouverais-je enfin le bonheur auprès d’elle ? J’ai la furieuse envie de redevenir petit et de courir me cacher dans ses bras ! On rirait de moi, si l’on me voyait encore serré contre elle ! Je n’aurais pas dû être choisi par les dieux pour venger mon peuple, je pense comme un gamin ! Il faudrait peut-être que je songe à grandir ! En me voyant, mon père doit être en train de devenir fou par tant de honte !


Mon maître regarde fixement devant lui, les yeux dans le vide. Je me demande presque si Méduse n’était pas venue lui rendre visite pendant que je me réjouissais. Il sent que je l’observe et se tourne vers moi. Il se détourne alors, se lève, sort en titubant et tombe comme l’ivrogne qu’il est. Je le relève et l’emmène dans sa chambre jusqu’à son lit. Je pars m’étendre ensuite sur le mien.


Je revois Neaira, mais je dois l’oublier. Le mal qu’elle m’a fait ne peut guérir que de cette façon. Je me vois tuer le prince Iorlas. J’enfonce avec plaisir un glaive dans son cou… Non, mieux, je lui ôte carrément la tête de ses épaules ! Elles ne perdent pas grand-chose. Je vois Neaira qui pleure sur le corps sans tête. Cette image me semble irréelle, c’est impossible ! Et pourtant si… C’est ce qui se passera. Je la vois l’embrasser lui comme elle m’avait embrassé moi, dans la caravane. C’est si cruel à imaginer… Mais c’est pourtant la vérité, elle m’a trahi.


Je me vois, serré dans les bras de ma mère. Je me vois, de plus en plus petit. C’est maintenant un bébé qu’elle berce. Plus je la regarde, plus ses traits changent. C’est bientôt Neaira qui tient l’enfant. Pourquoi ne me laisse-t-elle pas tranquille ? Pourquoi mon esprit revient-il toujours à elle ? Deviendrais-je fou ? Je ne veux pas, je ne me laisserais jamais emporter par mes délires. Je combattrais la folie ! Tu ne me vaincras pas, Neaira et ton prince non plus ! Je saurais t’oublier ! Personne n’est immortel, sauf les dieux, et toi tu périras, tu sortiras de mon cœur. Bientôt j’aurais à nouveau une famille tandis que toi tu n’en auras plus.


Bien sûr qu’une mère et son fils peuvent former une famille… Je dois me rendre à l’évidence : cela ne forme qu’un lambeau de famille ! Quel triste mot que celui là : lambeau… Si encore il y en avait plusieurs, on pourrait essayer de les raccommoder, mais on est seul. Cela ne nous fera pas aller très loin. Neaira aussi est un lambeau, mais elle s’est déjà rattachée au tissu de la famille royale de Mycènes.


Le lendemain, je sais déjà que je n’irais pas la voir, cependant je sens en moi son image qui me nargue. Ses beaux cheveux noirs se confondent avec la nuit sans lune. Ses yeux gris semblent couver une flamme dorée. Je la vois transpirer comme sous le poids de la bassine lorsque je l’ai vue pour la première fois. Je me souviens encore du goût de son baisé à notre séparation. Pourquoi me fais-tu cela ? Pourquoi tant de méchanceté à mon égard ? Ne t’aimais-je pas assez ? Non, je t’ai abandonné. Tu m’en as beaucoup voulu et tu règles tes comptes aujourd’hui. Mais je devais te laisser ce jour là ; je n’avais pas le choix ! Je serais venu te chercher après mon urgente mission !


Je parle au mur, pourquoi est-ce que j’essaie de me justifier à un mur ? La folie me guette si je continue de penser à elle.


Je n’ose parler à mon maître qui pourtant en aurait eu bien besoin. Je sens qu’il guette de ma part un regard amical, mais j’ai aussi mes propres démons. Je le vois enfin sous son vrai visage. Ce n’est pas de la malice ni de la méchanceté qu’expriment ses yeux pâles, mais de la tristesse et de la souffrance. Je vois cet homme vieux et tordu par des rêves qu’il n’a jamais réalisé. Je ne lui ressemblerais jamais : ma vengeance est mon seul rêve ! Elle est là. Mon heure approche. Je vois ma vengeance arriver avec la démarche souple et légère de Neaira.


Je descends de ma chaise et m’apprête à sortir. Je sens la grande tristesse de mon maître me suivre. Je me retourne et le regarde. Je lui souris, je veux le rassurer. Ca marche, mais qui pourra me rassurer, moi ? Ma mère. Elle me rassurera comme me rassurait Neaira, le soir dans les campements des marchands.


Je n’aurais jamais dû survivre à l’attaque du village. J’aurais dû mourir. J’aurais dû combattre aux côtés de mon père. Pourquoi est-ce moi qui suis resté ? Qu’avais-je de plus que les autres ? De la chance ? Je ne suis pas sûr. Je me sens faible.


Je vais à la salle d’arme pour m’entraîner. Glaive en main, je me sens pleinement un homme. Heureusement pour elle que ma cible n’est pas vivante car je l’entaille de toute part. Je dois me modérer, mais c’est impossible. Je ne me retiens plus. Mon bras vengeur frappe et je n’ose l’en empêcher. Peut-être est il trop fort pour moi… On m’appelle soudain.


-« Xilantès, quelqu’un vient pour te voir. Tu dois aller te présenter. »


J’y vais, j’y cours même ! Un espoir fait vibrer mon corps. Peut-être est-ce elle, peut-être m’aime-t-elle toujours !


Ce n’est pas elle mais un jeune homme à peine plus vieux que moi qui apporte une missive. Il est habillé, je le remarque tout de suite, à la façon des cavaliers, de cet uniforme que j’ai tant haï ! Il me tend un parchemin, après s’être assuré de mon nom et de ma condition. Il reprend ensuite son cheval et s’en va.


Il y a une belle écriture sur le rouleau qu’il m’a donné, mais je suis incapable de la lire. Mon maître arrive à ma rescousse.


-« Ce texte indique que tu es désormais un cavalier de Mycènes. J’avoue que je t’ai un peu pistonné. Mais avec l’armure, tu auras plus de pouvoir dans cette cité et plus de reconnaissance. Tu deviendras un homme important. Maintenant, il ne te reste plus qu’à aller au palais pour signer ton engagement. Vas-y ! »


Un cavalier ? Pourquoi pas ! Je vois que la visite n’était pas du tout inattendue puisqu’il m’a même sellé un cheval, une bonne bête baptisée Arès. C’est un vrai cheval de bataille, entraîné à porter un homme dans des combats sans avoir peur. On peut dire que mon maître a vu les choses en grand pour moi. Il porte une robe gris moucheté. Voilà plusieurs semaines qu’il m’avait appris à le monter.


Il me donne ensuite son ancienne armure de cuivre et d’argent sertie de rubans rouges. Elle scintille au soleil ; il avait dû drôlement l’astiquer pour arriver à ce résultat ! Elle paraît vraiment neuve. Il y a cependant un trou dans la protection du bras droit. Je sais qu’il est dû à l’impact de la flèche de mon père. Apparemment, il n’a pas cherché à le faire disparaître.


-« Vois-tu jeune homme, j’ai tout de même gardé un souvenir de ton village. »


Il me montre son bras droit. On peut y voir la cicatrice d’une flèche qui lui a frôlé le bras et qui a dessiné sur sa chair un trait droit et horizontal. Ce n’est pas une belle cicatrice qui fait viril, mais elle est de mon père… Cet homme a plus de souvenirs de mon propre géniteur que moi !


-« Elle vient de l’incontestable meilleur guerrier de ton village. Nos pertes auraient été bien plus sérieuses si on n'avait pas reçu l’ordre de l’abattre en premier. Il m’aurait eu si je n’avais pas eu la présence d’esprit de me pencher soudain sur la gauche. Malheureusement pour lui, en évitant un autre, il n’a pas vu ma flèche. Ma renommée vient de là.

-Votre renommée vient du meurtre de mon père ! je m’indigne.

-Je le sais et je le regrette. Si ça peut te faire plaisir, sache que je n’ai jamais profité de cette renommée, pas plus que je ne m’en suis vanté. C’est pour défendre Mycènes, je me suis engagé, pas pour tuer des innocents. Ce sont des soldats que je voulais combattre, pas des peuples pacifiques. Je n’ai jamais voulu vous attaquer, toi et les tiens. La vie a tout autant été cruelle avec mes rêves qu’avec les tiens. Mais il est temps désormais que nos rêves prennent leur revanche ! »


Le mien est la paix de l’âme de mon père et la liberté de ma mère ! Et ça passe par la vengeance…


Je crois que finalement, plus il parle, plus ma rancune contre lui s’accroît. Ce ne peut de toute façon pas être un homme bon qui a tué mon père ! C’est impossible, tous les Mycéniens ne sont que des monstres et des démons. Leur vie est assoiffée du sang des autres et leur cœur appartient aux tyrans qui les dirigent… N’est-ce pas ?


Pourquoi le monde est-il si compliqué ? Pourquoi un homme ne peut-il pas être ou tout blanc ou tout noir ? Et moi, de quelle couleur suis-je vraiment ? J’ai toujours voulu me voir blanc, mais ne suis-je pas noir ? Lui que je vois noir, ne serait-il pas plutôt blanc ? Mes parents… Non, cela je ne peux pas le croire !


Je monte sur Arès et nous nous élançons en direction du palais.


Cette fois, sur mon passage, les gens se tournent vers moi lorsque je passe. Ils sont impressionnés par l’armure et peut-être même certains la reconnaissent-ils. Je suis très fier, je me sens très fort à l’idée que si je le désire, ces hommes, ces femmes et même ces enfants sont à ma merci. J’ai presque soudain envie de les protéger, de les aider, comme si ce peuple était mon peuple, comme si leur sang était le mien.


Je ne dois pas m’arrêter à cet étrange sentiment. Eux et moi sommes trop différents pour vivre ensemble. J’ai une mission, je dois la remplir. Je ne dois plus prêter attention à ces gens, ce sont eux qui ont acclamé mes ennemis après l’extermination de mon village !


Le peuple s’écarte pour me laisser passer. J’ai maintenant sous le coup de ma rage envie de les piétiner sous les sabots du cheval, mais Arès fait attention, son instinct le pousse à se tenir à l’écart des autres hommes, mais de façon à ce que si je dégaine mon glaive, je puisse les toucher. Seulement si je sors l’arme de son fourreau, mon jeu sera à découvert et ce ne sera pas une bonne chose. Je dois renoncer à ces envies de violence.


Peut-être verrais-je le prince, au palais. Dans ce cas, j’aurais la possibilité à ce moment là de faire jaillir mes sentiments, mes rêves, ma fureur, ma vengeance ! Non, hélas là encore ce serait irréfléchi : je mourrais sans avoir pu sauver ma mère… Je ne peux m’empêcher de repenser à Neaira… Si tu savais comme tu me manques… Mais je t’oublierais, sois-en sûre !


J’arrive devant le palais. Le garde me laisse passer. Il voit que je suis un cavalier et mon maître, puisqu’il est son chef, lui a sûrement parlé de ma visite. Un domestique me fait entrer dans un bureau. Un homme en tunique bleue est assis devant une table. Il me sourit.


-« Le garçon de Dallès Nellendée ! Je suis heureux de faire enfin votre connaissance. Votre venue dans la compagnie d’Agamemnon nous enchante tous. Avant toute chose, Xilantès Nellendée, vous allez répéter après moi votre engagement. »


Je dis au mot près ce qu’il jure avec ferveur. Combien de fois a-t-il promis lui-même ? Combien de fois a-t-il prouvé son attachement à Mycènes ? En voici le début :


« Je jure d’aimer et de protéger ma cité qui devient ma famille ». Je pense à mon village, c’est lui ma cité, c’est lui que je devais protéger. A quoi bon défendre des ruines maintenant ? Cette promesse sera encore un parjure.

« Je ne laisserai pas les crimes qui lui sont fait impunis » ! Mais je ne demande que ça ! Je ne suis pas un vengeur mais un justicier…


Lorsque l’entretient est enfin terminé, je repars rapidement avec Arès. Je le laisse me guider dans la rue qui me regarde. Comme je ne le contrarie pas, il avance tranquillement droit devant lui. Il tourne à certains croisements, poussé par quelque instinct que je n’ai pas. On arrive enfin devant un endroit que je reconnais tout de suite : c’est la demeure de Neaira, la demeure du seigneur Iorlas. Je me surprends à chercher malgré moi du regard celle qui me fait tant souffrir. Il ne faut pas qu’elle m’aperçoive, je ne le voudrais à aucun prix, elle s’est déjà assez moquée de moi sans lui donner l’occasion d’en rajouter ! Le mieux serait que je parte !


Je me rappelle soudain que de toute façon que sous le casque et l’armure, elle ne pourra pas me reconnaître ! Je peux donc rester sans crainte, non ? Mais peu importe puisqu’elle n’est même pas là. Où peut-elle bien se trouver ? Ma frustration de ne pas la voir est immense ! J’en souffre tant… Je ne pleure pas car mes larmes sont taries, mais mes yeux, et mon cœur n’en ont pas moins mal.


Je repars au galop. Le boulevard est maintenant vide. En ce moment, je voudrais partir le plus loin possible mais pour aller où ? Pourquoi as-tu fais cela, Neaira ? Pourquoi m’avoir trahi ?


C’est comme si ma volonté s’était volatilisée. Même le cheval s’en aperçoit et ne va plus qu’au trot. Lorsque j’arrive chez mon maître, il est même passé carrément au pas ! Il s’arrête devant le portillon de la vieille maison. J’avais oublié à quel point la demeure semblait abandonnée ! Elle paraît tellement étrange dans le paysage… Presque des ruines… Cela me fait penser à mon cher village. Il faudrait un jour tailler toutes les mauvaises herbes qui y ont poussé, rendre un dernier hommage à ceux qui sont mort pour rien. Si je survis à ma quête, je sais que j’y retournerai.

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