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Gaya sur sa lune
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7 octobre 2008

Le roi de Mycènes : XX

Le soir, j’étais crevé ! Heureusement, les quarts avaient été distribués comme la veille. Je me suis donc endormi sur la vision du colosse tenant les rênes, les épaules voûtées. Comme la nuit dernière, il me réveille au beau milieu de la nuit et comme la veille, mes yeux ont du mal à rester ouverts. Lorsqu’un sursaut arrive à m’éveiller complètement, je relance les bœufs qui toujours ralentissent car à chaque fois je recommence à somnoler et eux, sentant que je ne les surveille plus, baissent la cadence. Un aboiement me parvient alors que je sombrais dans un rêve avec des chevaux.


-« Que faites-vous et qui êtes-vous ? Descendez de là ! »


Quelque chose me dit que ce ne sont pas les bœufs qui ont parlé !


Lorsque j’ouvre les yeux, la roulotte roule encore un peu mais des cavaliers mycéniens entreprennent de l’encercler. J’arrête la caravane et descends, comme ils l’ont demandé. Je suis désarmé, mais cela ne saura pas être un problème pour les tuer. J’arriverai bien à leur prendre un glaive et à éliminer la menace, Dallès m’avait assez formé pour que j’aie une chance dans une situation pareille ! Je les aurais, pour mon père, pour ma mère, pour Neaira ! Je le ferai pour sauver Neaira, parce que j’ai promis de la protéger ! En attendant, répondre poliment aux questions, être humble et ne pas les provoquer pour éviter un combat.


-« Nous ne sommes que de simples marchands, mes seigneurs, et…

-Balivernes ! Les marchands sont des pies, pas des chouettes, ils ne font pas route pendant la nuit ! Je repose ma question, qui es-tu ?

-Laissez-moi vous expliquer, avant de me contredire, vous me jugerez ensuite, je vous en…

-Vas-y, on t’écoute !

-Voilà… Nous avons appris qu’à Mycènes, le prince et un cavalier sont déjà mort : nous n’avons pas attendu qu’il y ait plus de victimes. Je ne sais pas si vous avez trouvé le coupable, mais moi, je sais qui c’est, je suis sûr que c’est le fantôme vengeur du village maudit. Nous ne sommes que de simples marchands, pas des prêtres ni des soldats et cette histoire est terrifiante, c’est pour ça que l’on fuit… Par pitié, laissez-nous partir, frères mycéniens, l’engagement de mon maître sera fini dans les deux prochaines lunes, je ne veux pas mourir avant !

-Où allez-vous, comme ça ?

-Je ne sais pas encore. Mon maître dort mais je crois que nous allons… à Sparte…

-Stupide gamin ! »


Je reçois une grande claque sur la nuque et me retiens de justesse de ne pas crier de surprise. En plus la claque était forte, à croire que Stavros n’attendait qu’une bonne occasion pour m’en donner une ! Je me masse mon cou douloureux.


-« Je t’ai pourtant dit 100 fois que nous allions à Ithaque ! La prochaine fois que ce trajet est interrompu, n’oublie pas de me réveiller ! Laissez donc cet imbécile, mes seigneurs ! La prochaine fois que l’on passe par chez lui, je l’y laisserai une bonne fois pour toute. Regardez-moi ça ! Ca n’a rien d’un marchand ! Mes seigneurs, vous ne venez pas pour me prendre mes chèvres, n’est-ce pas ? demande Stavros d’une voix imitant parfaitement l’angoisse.

-Pourquoi le ferions-nous ?

-C’est à dire (et la le marchand est un génie)… Voilà un jour déjà, un cavalier comme vous, monté sur un cheval clair, nous a abordé et a réquisitionné trois chèvres… »


L’homme essaie de cacher sa joie et son étonnement, tandis que les autres se regardent avec des airs entendus.


-« Par où est-il parti ?

-Mais par le même chemin que nous empruntons ! Sûrement fuyait-il loin de la malédiction car il avait emmené sa femme avec lui, c’est d’ailleurs pour ça que je l’ai trouvé un peu louche, mais si c’est un collègue à vous, il y avait peut-être une autre raison.

-Très sûrement, même. Sachez qu’un cavalier n’a jamais peur, marchand. En plus, ce chemin conduit aussi vers le village plus qu’il s’en éloigne.

-Vous avez raison, seigneur, mon hypothèse était des plus saugrenues !

-Voilà bien les marchands ! Allez cavaliers, on continue ! En avant ! »


Tous, au nombre de huit, galopent dans la direction indiquée. Puisque nous sommes à l’arrêt, nous en profitons pour faire une pause : les bêtes sont trop fatiguées. Je monte dans la roulotte mais Stavros reste dehors, pensif.


-« J’ai peut-être fait une erreur en les envoyant par là. Ça les mène tout droit à ton village et ils pourraient nous y attendre. On risque d’être pris au piège ! »


Il n’a pas tort mais maintenant, il est trop tard pour rebrousser chemin !


-« Ils vont beaucoup plus vite que nous et ils y seront bientôt. Ne voyant personne, ils repartiront vite, avant que l’on arrive nous même. Et puis, malgré ce qu’ils prétendent, les soldats aussi sont superstitieux, ils n’oseront même pas s’aventurer sur le chemin !

-Les dieux fassent que tu aies raisons, mon garçon, car ce sont les seuls qui peuvent encore faire quelque chose, maintenant. »


Je regarde Neaira qui dort encore, sourde à toute cette agitation. Peu importe où vont ces cavaliers, jamais je ne la laisserai mourir ou redevenir esclave. Elle ne doit pas souffrir à cause de moi.


L’aube est en train de percer l’obscurité et elle va bientôt se réveiller. Je profite de ses derniers instants de sommeil pour la regarder librement. Son ventre s’est à peine arrondi, rien ne pourrait me laisser croire, si elle ne me l’avait pas dit, qu’elle est enceinte ! Ce qu’elle est belle ! Elle semble si paisible, étendue comme elle se trouve ! On dirait presque qu’elle est morte…


Une grande tristesse m’envahit. Que ferai-je si elle venait à mourir ? Que deviendrai-je ? Comment pourrai-je vivre, sans espoir de la revoir ? Je me sens si égoïste : et ma mère, je l’oublie ? J’oublie mon serment ? Lorsque l’on a un but comme le mien, on doit en remercier les dieux ! Aurais-je menti à mon père ? Jamais, mon honneur en dépend ! … Mais le sort de Neaira est lui aussi suspendu à mes décisions ! Trois destins reposent sur moi, sans compter le mien propre ! Si les dieux ne me viennent pas en aide, ne me donnent pas la bonne décision, je n’y arriverais jamais ! Mais les dieux ne m’ont-ils pas aidé dans mon choix, dans mes rêves ? Peut-être que si, bien sûr, mais je ne veux rien devoir de plus à Stavros… C’est si simple de se reposer sur les épaules de quelqu’un d’autre, or s’il y a une chose que j’ai pu apprendre dans ma vie, c’est que rien n’est jamais facile ! Mais en fin de compte, qu’est-ce qui est le plus simple ? Faire confiance à un homme que mine de rien tu ne connais à peine ou faire toi-même le travail demandé ? Car que sais-tu de lui ? Pratiquement rien ! … Voilà que je me mets à me méfier de mes amis, vraiment je ne les mérite pas ! Je dois sûrement ma vie au marchand, comment puis-je oser le soupçonner de quoi que ce soit ! Je suis un monstre !


Ma belle se réveille et me tire de mes impures et injustes réflexions. J’espère que Minos ne m’en voudra pas lorsque je passerai devant sa cour. Je me retourne, je ne veux pas qu’elle sache que je l’observais.


Je sens qu’elle vient vers moi. Je sens mes soucis s’envoler tandis que ceux de Neaira recommencent à marquer son visage. Lorsque je la regarderai, je verrai toute la quiétude de son sommeil disparue. J’aimerai tant la voir heureuse, au moins une dernière fois…Croyez-vous aux miracles ? Moi j’aimerai y croire mais je crains que cela me coûte encore des désillusions. Les dieux nous guident, mais ils ne font pas des miracles. Je doute que les héros, les demi-dieux aient pu exister un jour.


Je me retourne et j’assiste à mon premier miracle : Neaira me sourit certes avec sa bouche, mais ce sont ses yeux gris illuminés de la flamme de la vie que je vois en premier. Elle s’est rallumée dans son doux regard. Mon cœur bat tellement fort en la voyant que j’en ai mal. Je nage dans un bonheur tout entier. Pour combien de temps ? Je m’en moque, je ne veux pas penser ‘’après’’, je veux penser ‘’maintenant’’. C’est bien vrai, son visage n’est plus serein, il est heureux et c’est tout ce qui compte, c’est même encore mieux ! Elle ne dit rien et moi non plus, je suis trop occupé à regarder cette flamme et tant pis si cela la gêne et la fait rougir et lui fait détourner la tête. Je voudrais tant être seul avec elle… J’attends ce moment et en même temps je le redoute. J’aimerais tant croiser son regard et y voir l’amour réciproque qu’elle me témoigne, lui montrer, lui prouver le mien… Mais elle garde la tête baissée, comme si elle avait peur de se dévoiler à moi. Je pense qu’elle veut garder ses distances, pour Stavros. Cela semble lui faire de la peine, de nous voir ensemble, de surprendre parfois notre bonheur dont il est exclu. Peut-être n’a-t-il jamais connu ce qui nous arrive et il nous envie…


Je me dis que de toute façon, Neaira doit avoir raison de m’éviter. Sa raison ne peut-être que bonne. Il vaut mieux que je trouve à m’occuper. Traire est la seule chose en ce moment qui est simple et utile et en plus, c’est le moment !


Bientôt on reprend la route. Je décide de dormir. Je décide de dormir, en attendant que ce soit à moi de tenir les rênes, afin de rattraper ma nuit. Je vois des êtres flous tout autour de moi. Ils me regardent et observent mes mouvements. On dirait un peu des âmes errantes comme on les décrit dans certaines légendes. Peut-être en connaissais-je certains, mais en tout cas je n’en reconnais aucun, c’est comme si un épais brouillard me séparait d’eux. Je ne sais pas ce qu’ils me veulent, peut-être me demandent-ils de respecter mes serments… ou peut-être sont-ils simplement là pour veiller sur moi. Un de ces êtres s’approche de moi et me touche la poitrine. Je sursaute et elle retire la main.


-« On mange, viens reprendre des forces ! »


Neaira est penchée sur moi, souriante et pourtant soucieuse, je le vois bien. Stavros, quant à lui, a disparu.


-« Tu n’as pas très bien dormi. Si quelque chose te tracasse, tu peux toujours me mettre dans la confidence, tu sais ! »


J’opine du chef en souriant. C’est vrai, je le pourrais, mais lui dire que je ne sais pas si je dois m’occuper d’elle ou retrouver ma mère risquerait de lui faire croire qu’elle est un fardeau et cela lui ferait retrouver ses idées noires. Elle se sentirait coupable et serait tout à fait capable de se laisser dépérir. Je saute du lit. Elle attend apparemment des explications que je ne lui donnerai pas.


-« Je vais très bien, ne t’en fais pas. On y va ? »


Elle est déçue que je ne lui dise rien mais elle essaie de ne pas le montrer. Elle passe devant moi en guise de ''oui''. Je la suis. C’est tout de même difficile de lui cacher ce que je ressens ainsi que mes inquiétudes mais je n’ai pas vraiment le choix. Mon maître est en train de faire cuire un lapin.


-« C’est Horus qui l’a attrapé ! C’est qu’il deviendrait chasseur cet animal, pourtant il commence à se faire vieux ! »


Le chien en question est tranquillement endormi aux cotés de son maître et ne fait pas du tout attention aux éloges qu’on lui adresse. J’avoue qu’un peu de gibier à manger m’enchante énormément mais j’aurais aussi préféré que le chasseur soit moi-même ! J’ai donc été remplacé par un chien ! Si j’avais pu avoir mon arc… Deviendrais-je jaloux d’un chien ? J’ai dû tomber bien bas. On mange. Sa gamelle remplie plus loin, Horus se réveille pour dévorer son dû.


Le repas fini, on repart et je prends les rênes. Ce qui est bien avec les bœufs, c’est que ces animaux ne bronchent jamais, je ne les avais jamais vus fatigués. Je me demande s’ils ne dorment pas en marchant ! Je me demande même s’ils s’en aperçoivent, lorsque la mort les prend ! Probablement même pas ! Ils continuent sûrement de marcher, en tant que fantômes. Ils sont si forts et si paisible ! Ce doit être bien calme, comme vie. Si je pouvais être un animal, je serais sûrement ça !


Le marchand dort et Neaira est à côté de moi, appuyée contre la planche de bois qui sépare la roulotte habitat de la banquette avant. On peut entendre les oiseaux et les insectes chanter. Une petite bise caresse nos visages. Il ne se passe rien de l’après-midi.


Le soir, l’air me semble plus lourd et mon cœur bat vite. Ce n’est pas de la peur, c’est de l’appréhension ! Je sens au fond de moi que l’on approche de mon village. J’ai envie de continuer d’avancer, mais en même temps je me demande si je suis vraiment prêt à y retourner…


On mange rapidement, mais personne ne parle : la tension que je crée est palpable, mais je n’y peux rien. Le marchand observe mes réactions et Neaira nous regarde chacun à notre tour. Moi je ne peux détourner mes yeux du sol. Cela ne fait que renforcer notre position de doute et de peur.


C’est au marchand de tenir les rênes en premier. J’essaie de dormir, mais je n’y arrive pas. Neaira, quant à elle, sombre dans le sommeil en premier. Il faut dire qu’avec le bébé, elle se fatigue sûrement plus vite que nous. Je m’assois à côté de Stavros.


-« Tu as réfléchi à ma proposition, mon garçon ? Mon aide tient toujours… Et tu peux me faire confiance. »


Oui, j’ai pris ma décision. C’est probablement la mauvaise mais je veux croire en lui. Peut-être est-ce un piège, bien que je ne voie pas en quoi, mais je ne peux pas laisser Neaira seule.


-« Je te revaudrai cela éternellement, mon ami. Si un jour tu as besoin de mon aide, n’hésite pas. »


Il semble heureux, voire soulagé que je le laisse faire. Cet homme est vraiment quelqu’un de bien, il ne veut que m’aider et pourtant j’ai l’impression qu’il me cache quelque chose.


La nuit est voilée par des nuages, il n’y a ni lune, ni étoiles. Le marchand a monté une torche sur la roulotte qui arrive à grande peine à nous éclairer faiblement. Je me sens oppressé par cet air lourd, ce ciel lourd, ce silence lourd. J’ai l’impression d’être écrasé de toutes parts. Je suis éreinté mais je ne parviens pas à fermer l’œil. Je me sens tellement seul que même Neaira ne pourrait rien y faire. J’ai l’impression d’être un fantôme dans la nuit. Après tout, n’est-ce pas ce que je suis d’après la légende ?


-« Dors mon garçon, tu en auras besoin ! »


Non, je ne suis pas un fantôme, ni un héros, je ne suis qu’un homme. Un simple mortel nommé Achilloüs. Pourquoi continuer à croire que je suis destiné à un futur extraordinaire ? Je dois revenir sur terre.


-« Je n’arrive pas à trouver le sommeil.

-As-tu peur de rentrer chez toi ? »


Encore une fois j’ai la nette impression qu’il a la capacité de lire dans les pensées.


-« Cela fait tant de temps que je suis parti ! L’endroit va être méconnaissable. Je ne suis pas sûr d’avoir fait le bon choix, il y a quelques années, de partir...

-Il est inutile d’avoir des remords. »


Ce n’est pas parce que c’est inutile que je n’en ai pas, malheureusement. J’essaie de m’assoupir encore mais je n’y parviens pas. Je ne sais pas de quoi j’ai peur. Je ferme les yeux. Il me semble reconnaître la route. Je cours droit devant, à toute allure. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que je dois me dépêcher. J’arrive enfin devant mon ancien village ; c’est étonnant comme j’ai été rapide ! Les ruines sont toujours telles que je les avais laissées, dissimulées sous les hautes herbes. Je m’avance au milieu des cendres. Soudain, des centaines de formes jaillissent du sol, sortant de leur cachettes. Je suis encerclé de toutes parts. Un piège… je le sentais… et pourtant j’ai couru droit dedans ! Je me tourne et me retourne, encore et encore. Ma position me rappelle celle du renard, lorsque j’étais petit. Chaque jour, cet animal nous volait des poules, alors les hommes ont organisé une grande battue. Toute une matinée ils sont partis, alors je suis allé avec eux, pour voir. Je voulais être le premier à l’apercevoir, mais ça a été le vieux Saüs qui l’a repéré. On a réussi ou du moins les hommes ont réussi, à l’encercler. L’animal tournait en rond, au centre. Quand il a enfin essayé de s’échapper, il est tombé, criblé de flèches... Était-ce aussi ce qui allait m’arriver ? J’ai peur… Je me sens tout petit… Je me sens rapetisser tandis que les soldats grandissent. J’ai de nouveau 11 ans et les ruines fument à nouveau. Une ombre se tient derrière un des soldats. Elle se meut doucement, légère comme l’air. Je m’aperçois alors que plusieurs de ces ombres se tiennent derrière les rangs de mes assaillants. Elles ne semblent pas vivantes. Elles semblent là pour assister à ma mort, elles se tiennent immobiles, sans bouger. Je sais maintenant qui elles sont : elles sont les mânes de mon village… ma famille… Peut-être ne me reconnaissent-ils pas !


-« C’est moi ! Père, aide-moi… »


Les spectres ne bronchent pas, mais mes assaillants s’approchent plus vite en réponse à ma panique.


-« Père ! ! ! »

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