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Gaya sur sa lune

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9 novembre 2013

Galanthus Nivalis : 9 Novembre

9 novembre

L'air était silencieux, comme si le monde alentour était dans l'expectative de quelque chose qui allait arriver. La nature semblait retenir son souffle, et le manque d'oiseaux ne faisait rien pour démentir cette impression. Le soleil, haut dans le ciel, peinait lamentablement à passer à travers les nuages. La température ambiante était fraîche et la neige n'allait pas tarder à tomber.

Un long sifflement retentit soudain et une bourrasque fit s'envoler les feuilles mortes du chemin qui tournoyèrent en mini tornade avant de s'écraser quelques mètres plus loin. Le hurlement lancinant du vent fut recouvert par un bruit de moteur se rapprochant. Un pick-up noir vint s'arrêter sur le chemin de terre, faisant crisser les cailloux, perturbant le calme ambiant. Le contact fut vite stoppé et le silence reprit ses droits un instant. Le véhicule n'aurait pu aller plus loin, car le sentier devenait trop étroit et touffu.

La portière conducteur s'ouvrit et des rangers se posèrent sur le sol, dont le tapis d'automne craqua alors que les feuilles mortes glacées se brisaient. Des mains fines récupérèrent des gants sur le siège passager et les enfilèrent. La portière claqua tandis que la grande silhouette avançait de quelques pas, humant l'air et semblant se repérer. Les clefs cliquetèrent un instant avant de trouver place dans une poche du pantalon d'uniforme de garde forestier. Des yeux bleu-ciel trouvèrent rapidement ce qu'ils cherchaient : un mince filet de fumée blanche qui s'élevait au dessus des arbres, taquinant la chiche lueur d'un soleil encore très jeune.

La jeune femme se mit en route sitôt sa destination trouvée, attentive à la forêt alentour. Sa démarche était rapide et silencieuse, presque féline, tandis que ses pieds semblaient éviter d'eux-mêmes tout obstacle qui aurait pu bruisser sur son chemin.



Frédérique était la garde-chasse de ce coin reculé d'Auvergne. Elle ne s'en plaignait pas, l'endroit était relativement peu fréquenté, hormis pour les grandes vacances, et même alors le tourisme boudait la région. Seuls quelques passionnés de nature y avaient leur résidence secondaire. Le fait d'ailleurs que quelqu'un ait choisi d'y faire une halte ce moment même était étonnant, alors que la neige était prévue et risquait de piéger les visiteurs. Insouciants !

Elle avait remarqué la présence de l'intrus la veille au soir quand la fumée s'était bien détachée sur le ciel qui s'assombrissait. Il devait s'agir très certainement d'une bande de jeunes qui avaient décidé de venir faire un peu de camping sauvage, histoire de passer des vacances et du bon temps gratuitement. Frédérique pouvait comprendre ça, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle n'était pas venue déranger ces importuns alors. Elle aurait même très certainement pu ne pas y aller du tout ce matin là, les laisser faire leur affaire et s'en aller quand ils en auraient fini, cela lui aurait épargné un déplacement... Mais les rares fois où elle s'était montrée aussi indulgente, elle avait peiné à retrouver la clairière dans la déchetterie qu'on lui avait offerte, et elle avait dû se coltiner les détritus à ramasser.

La prospérité et l'absence de pollution dans la circonscription que l'ONF lui avait attribué à l'occasion de sa reconversion était sa priorité, et le meilleur moyen de l'assurer était de surveiller elle même les départs. C'était bien ce qu'elle s'apprêtait à faire.

De plus, le temps s'étant brusquement refroidi depuis quelques semaines, son rôle était aussi de s'assurer que personne n'était en danger. Il lui était déjà arrivé de retrouver des randonneurs qui étaient venus à pied, s'étaient blessés, et se retrouvaient soulagés de la voir apparaître car les portables passaient très rarement dans les montagnes. S'il arrivait quoi que ce soit à quelqu'un dans sa zone de surveillance, elle s'en tiendrait pour personnellement responsable.

Avec la neige qui menaçait, ils avaient intérêt à repartir vite, ou Frédérique serait contrainte de les ramener en scooter des neiges jusqu'à la Besseyre, voire même si le temps se gâte prématurément, jusqu'à Saugues en conservant leur voiture, et ça, ça ne l'emballait vraiment pas.

Frédérique sourit en humant l'air glacé, le laissant s'infiltrer dans ses poumons. Avec un peu de chance, l'un de ces imprudents n'était pas assez couvert et attraperait une bonne angine. Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas les touristes et vacanciers, après tout, ils participaient un peu à l'économie des villes et villages environnants... Seulement comme pour beaucoup de ses compatriotes, se moquer des habitants des grandes villes était un bon passe temps.



Frédérique arriva enfin en vue de la clairière et s'arrêta, étonnée.

Il n'y avait aucune tente dressée fièrement, comme elle s'attendait à en trouver. L'endroit semblait même désert. Était-elle arrivée trop tard ? Cela expliquerait l'absence de véhicule sur le chemin, mais les importuns auraient très bien pu venir à pied, le goût de l'aventure pourquoi pas, malgré le temps. La garde-chasse évita de jurer. S'ils étaient à pied, en tout cas, ça voulait dire qu'elle devrait les ramener elle même, car ils n'auraient jamais le temps de rejoindre un quelconque village avant que la région ne revête son épais manteau d'hiver.

Dans tous les cas si les campeurs étaient partis, leur passage ne passait pas inaperçu, ils avaient laissé un sacré bazar éparpillé au gré des vents sur la mousse déjà cristallisée. Frédérique s'approcha des braises encore chaudes de ce qui restait du feu allumé la veille, dont le mince filet de fumée ne devait plus être très visible de chez elle. Non loin de ce vestige récent de trace humaine, étaient empilées des branches mortes, qui devaient être destinées à alimenter cette unique source de chaleur mais qui par manque de temps probablement y avaient échappé.

Le garde forestier grommela en ramassant une boite de biscuits non encore entamée qui traînait à ses pieds. Elle aperçut bientôt plusieurs autres vestiges de repas ça et là aux alentours du feu. L'agent fronça les sourcils. Les visiteurs étaient fréquemment sans gêne, mais pas à ce point gaspilleurs ! C'était comme si le ciel avait largué ces denrées juste ici. Frédérique ramassa ce qu'elle put et le mit dans ses poches. Elle n'y toucherait pas, mais pas la peine de laisser pourrir ça ici.

Elle se dirigea ensuite vers l'amas de couvertures posé dangereusement près du feu. Il tenait du miracle que les tissus n'aient pas flambé du fait du vent fort qui aurait pu les rapprocher des flammes. Là encore, laisser ça sur place ne tenait d'aucune logique si l'on ne comptait pas revenir. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas avoir laissé les tentes ? Ce désordre était simplement sans queue ni tête ! La grande fonctionnaire eut un sursaut en touchant la première couverture. Il y avait quelque chose dessous... ou plutôt quelqu'un.



Frédérique souleva doucement la couverture tout en se portant aussi loin que possible, réminiscence de gestuelle de protection : quoi que ce fut dessous, elle ne voulait pas le surprendre ou lui faire peur, mais elle voulait parer toute éventualité. Elle émergea ainsi une jeune fille, à peine sortie de l'enfance semblait-il. Elle dégagea ses longs cheveux blonds entremêlés de nœuds pour découvrir un visage fin et maigre. Jetant un coup d'œil sur ses vêtements, la garde forestier en déduisit qu'elle devait être frigorifiée, car le tas de vieux habits chiffonnés et loqueteux qu'elle portait ne devaient en rien la protéger, surtout pour passer une nuit dehors au milieu des bois. Elle s'agenouilla et posa sa main sur la joue de la jeune fille. Sa peau était froide et moite, et la grande femme eut un peu peur qu'elle ne soit morte, glacée par la rosée et l'air hivernal. Elle descendit sur le cou de l'infortunée pour trouver son pouls. Celui-ci battait faiblement, mais il battait et c'était l'essentiel !

Frédérique réfléchissait à toute vitesse, faire venir un médecin ou une ambulance ici serait très difficile car les petits chemins étaient très peu connus, même des GPS, et impossible de poser un hélicoptère dans les environs. De toute façon, elle n'avait ici aucun réseau. Elle passa ses bras sous les jambes et les épaules de la gamine et la souleva, la portant jusqu'à son pick-up.

Elle prit une couverture de survie qu'elle conservait dans son coffre et l'emmitoufla avant de l'allonger en position latérale de sécurité à l'arrière. Le froid l'anesthésiant, la jeune fille n'avait même pas dû sentir le changement d'environnement, mais l'inconscience en cas d'hypothermie était plutôt banale. Essayant de reléguer en arrière plan la pensée parasite et douloureuse que si elle s'était rendue sur les lieux la veille au soir en voyant la fumée, elle n'en serait pas là, elle se mit au volant et démarra, filant à travers les bois pour rejoindre son chalet. A peine avait elle démarré, que la neige se mit à tomber, au moins deux heures avant les prévisions de Frédérique.



La garde forestier étendit le corps inerte sur son canapé, toujours emmitouflé dans la couverture. Elle le déshabilla rapidement pour éviter que ses vêtements détrempés ne lui fassent prendre encore plus froid, et les étendit. Elle la sécha doucement sans frotter pour réguler au mieux sa température corporelle sans accélérer la circulation de son sang, ce qui pouvait alors lui être fatal. Elle se souvenait que l'hypothermie se soigne doucement. Elle étendit ensuite sur elle une nouvelle couverture de laine avant de la ré-emmitoufler dans la couverture de survie, s'assura qu'elle était bien installée en PLS avant de filer vers le téléphone pour appeler le docteur le plus proche, Hervé Bennoux. Il était à la retraite, mais exerçait toujours en cas d'urgence dans les environs, car le coin était trop reculé pour trouver un autre médecin compétent aussi rapidement. Les déserts de France comme celui là n'attiraient que trop rarement les hommes de l'art.



Le vieux bonhomme arriva au chalet alors que 10h n'allait pas tarder à sonner. Frédérique l'aimait bien cet homme, grand père trois fois, les cheveux gris aux petites lunettes en demie lune. Sa petite taille en faisait un homme frêle d'apparence, tandis qu'il était toujours impeccable dans sa tenue. Il faisait plus homme de ville que de campagne, mais s'il lui arrivait de mettre les mains dans le lisier, son maintien ne le laissait pas présager.

Ce que la garde forestier aimait également chez lui, c'était son calme à toute épreuve. C'était un homme méticuleux qui aimait son boulot, et qui surtout, ne se perdait pas en bavardages inutiles. Un signe de tête lui suffisait souvent à se faire comprendre et cela plaisait grandement à Frédérique dont la loquacité n'était pas le fort.

Le docteur entra dans le chalet dont la garde forestier avait ouvert la porte en entendant la petite citadine deux portes hybride qui avait dû être gris métallisé un jour. Il salua rapidement son hôtesse avant de s'approcher de la gamine et de s'accroupir pour l'ausculter en bonne et due forme.

Frédérique lui proposa un café qu'il accepta avec plaisir d'un hochement de tête, la main posée sur le bras de sa nouvelle patiente. Il lui prit la tension et fit d'autres analyses que la garde forestier ne regarda pas, apportant seulement la boisson proposée et se postant devant la fenêtre, les bras croisés sur sa poitrine.

Il se releva enfin après un petit moment.

- « Elle est en hypothermie très avancée. Il va falloir y aller progressivement. Si ça fait déjà plus d'une heure qu'elle se réchauffe, c'est que son cas devait être très grave, tu es arrivée au bon moment. »

Il se releva et gratifia la garde qui l'observait fixement d'un sourire réconfortant.

- « Elle dort encore mais c'est normal, ses jours ne sont pas en danger. Il lui faudrait quelque chose de tiède à boire pour la réchauffer aussi de l'intérieur... »

Il fit un petit clin d’œil :

- « Et de sucré, vu comme elle est épaisse, ça ne lui fera pas de mal. Tu as du chocolat chaud ? »

Frédérique hocha vaguement la tête et se rendit en direction de la cuisine, ne s'arrêtant pas quand une voix l'interpella.

- « Tiède surtout, n'est-ce pas, pas trop chaud, on va éviter le choc thermique ! »

Il enserra la tête blonde dans une serviette sèche avant de marmonner :

- « Par contre, il faudra chauffer un peu plus la pièce. »

Près d'un mètre quatre-vingt de méfiance réapparut dans l'encadrement de la porte.

- « Elle ne va pas rester là ? »

Le docteur se rapprocha et lui posa une main amicale sur l'épaule.

- « Ce serait trop long pour aller à l'hôpital et dangereux pour elle de surcroît. On va la laisser dans la couverture chauffante, elle devrait être rétablie d'ici sept heures vu sa température. Je vais d'ailleurs te laisser un sédatif, pour si elle venait à se réveiller avant et cherchait à trop bouger. Elle voudrait se lever, et ça serait trop dangereux, il lui faudra beaucoup de repos. Je n'ose le lui donner maintenant dans son état, ça pourrait être mauvais. »

Frédérique lui lança une boite d'allumettes avant d'ajouter.

- « Elle ne va pas rester ici n'est-ce pas ? »

Le vieil homme s'approcha de la cheminée. Son absence de réponse convainquit la jeune femme qui poussa un profond soupir avant de retourner à son chocolat.

L'érudit s'escrima un moment avant que de jolies flammes montent haut dans le conduit.

L'agent revint bientôt avec une tasse pleine et la tendit au médecin.

- « La PLS n'est pas tellement nécessaire pour son cas, elle est seulement endormie et engourdie par le froid. Redresse la légèrement, que ça soit plus pratique, mais pas trop. Une position debout est à éviter pour que le sang circule plus facilement sans que le cœur force trop. »

La garde forestier obéit docilement et se plaça derrière la jeune fille, lui tenant le buste dans une position un peu surélevée. D'une main, elle lui ouvrit la bouche, et Hervé versa doucement une gorgée du liquide dans le gosier.

La jeune fille ne fit sur le coup aucun mouvement autre que crachoter et le chocolat fut avalé rapidement. Le docteur répéta la manœuvre plusieurs fois, avant que la patiente ne semble esquisser un début de réveil. Elle remua un peu, toussant et gesticulant faiblement pour échapper à la prise de la grande femme, mais avalant tout de même. Son corps se détendit contre celui puissant de la garde forestier tandis qu'elle replongeait de plus belle dans le pays des rêves.

Le docteur Bennoux se redressa.

- « Il faudra lui en redonner. Plus tard, quand elle se réveillera. Ne lésine pas sur la dose de chocolat. Elle ne m'a pas l'air bien costaud, cette gamine ne doit pas manger beaucoup et elle manque de glucides. »

La grande brune se dégagea doucement pour faire fondre un peu de chocolat et le médecin la suivit.

- « Où l'as-tu trouvée ?

- Dans une clairière, seule, sans tente ni rien. »

Hervé hocha la tête, plus pour lui même que pour son interlocutrice.

- « Il faudrait savoir qui elle est, où sont ses affaires ? »

La grande femme lui désigna le salon où elle avait étendu les couvertures miteuses et les vêtements de la gamine pour qu'ils sèchent.

Le vieil homme acquiesça.

- « Je te laisse t'en occuper, je ne peux pas tarder plus, sinon je ne pourrais jamais repartir avec ce qui tombe. Tu vas devoir t'en charger seule. C'est sûr qu'elle aurait été mieux à l’hôpital, mais le temps qu'ils viennent la chercher, elle sera sûrement sur pied... s'il parviennent jusque ici pour la récupérer. Tu vas devoir jouer les infirmières, je suis sûr que tu adores ça ! »

Frédérique leva un sourcil d'indignation et le docteur sourit. Voilà qui allait la changer. D'ici qu'elle puisse s'en débarrasser, il faudrait peut être prier que la taciturne garde-chasse n'exécute pas elle même sa protégée.

- « N'hésite pas à m'appeler, je sais que pour les médicaments, tu as de tout. Tu vas t'en sortir et te débrouiller comme un chef, j'en suis sûr et certain. »

La jeune femme grogna pour la forme, avant de lui enjoindre de conduire prudemment, devant les bourrasques de neige qui s'abattaient désormais.



Après son départ, Frédérique alla chercher les affaires de la petite et les ramena dans la cuisine. Elle fouilla un peu les poches et sortit ce qu'elle y trouva, afin d'avoir une meilleure idée de l'identité de celle qui squattait son canapé.



A coté des papiers d'emballage de biscuits et diverses cochonneries qui traînaient au fond des ouvertures au plus profond de ses vêtements, elle découvrit un porte-feuille, un vieux modèle de portable et une boite d'allumettes.

La garde forestier saisit d'abord la petite pièce de cuir et la retourna dans tous les sens pour l'observer. Elle était un peu abîmée, mais au vu de tout le reste, en un état miraculeusement bon. Elle l'ouvrit rapidement et sans hésiter, rattrapant dans le même temps une feuille volante qui s'en échappait.

La retenant entre l'index et le majeur, elle la retourna, dévoilant une vieille photo datant manifestement d'une dizaine d'années. La date avait dû être inscrite au revers, mais elle était désormais illisible.

Le cadrage représentait le portrait d'un jeune garçon, un adolescent d'environ 15 ans, aux cheveux châtains clairs et aux yeux clairs, dont le visage était parsemé de tâches de rousseur.

Frédérique abandonna la photo sur la table et rouvrit le porte-feuille laissé en plan quelques instants plus tôt. Elle découvrit quelques piécettes de bronze, rien qui ne permette de vivre bien longtemps. Le compartiment des billets était simplement vide, hormis un morceau de feuille dont l'humidité avait effacé là également toute trace d'écriture. Il ressemblait désormais plus à du papier mâché qu'à autre chose.

Elle sortit enfin un papier plastifié qui avait manifestement beaucoup de vécu. C'était la carte d'identité de la jeune fille. Frédérique la lut rapidement.

Elle apprit ainsi que son hôte se prénommait Agnès Vaulnes, elle avait fêté ses dix-huit ans depuis moins d'un mois et provenait de la DASS au vu de l'adresse qui était mentionnée. Ça n'expliquait pas ce qu'elle venait faire ici, mais Frédérique n'ignorait pas que l'organisation de la DASS, même voulant le bien des enfants, en conduisait hélas une certaine partie dans la misère, et ce devait être le cas de cette pauvre fille. La garde-chasse redouta de devoir se battre avec ce petit bout de femme à son réveil. Non seulement Frédérique avait souvent vu des reportages sur les gosses des rues, mais elle avait pu s'apercevoir d'expérience de quoi ils étaient capables.

La boite d'allumettes était quasiment vide, et le téléphone, quant à lui, ne fonctionnait plus. Elle retourna dans le salon s'installer dans son fauteuil caressant distraitement les peluches et surveillant du coin de l’œil la jeune endormie. Cette dernière avait repris quelques couleurs, et sa respiration s'était accélérée, allant même jusqu'à être un peu rapide.

Le téléphone sonna soudain dans son bureau, et Frédérique se précipita dans la pièce adjacente pour décrocher. C'était le docteur Bennoux qui revenait aux nouvelles. Il voulut également satisfaire sa curiosité sur sa patiente.

- « Alors ? Qu'as-tu trouvé ?

- Une source de problèmes apparemment. J'ai sa carte d'identité, elle a 18 ans, c'est une gosse de la DDASS.

- Au moins elle est majeure, c'est déjà ça... Et puis, ça t'évitera d'avoir à téléphoner à sa famille. »

Le vieux monsieur fit un sourire malicieux non visible mais que la garde-chasse, qui le connaissait bien, imagina sans problème.

- « Vu comme ça, ça aurait pu être pire oui... »

Mais Frédérique n'avait aucune envie de rire à ce sujet. Cette gamine n'avait apparemment rien, ce n'était qu'une enfant qui s'était perdue là, dans sa zone plutôt qu'une autre, à moitié morte de froid. Ça en faisait son problème, qui risquait de durer un peu, qui bouleverserait sa routine, et elle se sentait déjà dans ses retranchements. C'était une situation qu'elle ne pourrait pas vraiment contrôler. Elle n'avait pas peur n'est-ce pas ?



- « Comment tu la trouves ? »

Elle jeta un coup d'oeil sur l'objet de son tourment.

- « Mieux. Elle a l'air vivante, ça la change.

- Très bien, très bien... »

Frédérique ne broncha pas. Mieux valait ne pas déranger un docteur qui réfléchit, surtout quand on veut se débarrasser au plus vite de la patiente.

- « A son réveil, tu lui referas du chocolat. »

La garde forestier soupira. Ce n'était pas vraiment ce qu'elle attendait.

Puis le médecin lui lista une ordonnance pour que Frédérique puisse soigner sa petite réfugiée en attendant qu'elle soit prise en charge, qu'elle nota consciencieusement, visualisant mentalement sa trousse à pharmacie pour savoir si elle avait de tout. Puis il se remit à réfléchir à l'autre bout du fil, et Frédérique tapota nerveusement son bureau.

- « Tout compte fait, le mieux serait que tu la gardes un moment, dans son état, il vaut mieux éviter de la transporter en voiture ou en camionnette. Et puis, d'ici que tu reviennes chez toi, ça sera impraticable et trop dangereux, tu serais coincée. Après tu peux faire venir les pompiers, ils arriveraient peut-être à poser un hélicoptère quelque part, mais je pense qu'elle peut s'en sortir sans. Elle m'a l'air d'avoir une certaine habitude des temps froids passés dehors. Elle sera sûrement malade pas mal de temps, une grosse grippe, peut être une pneumonie mais à l'abri et au chaud elle devrait vite guérir. »

- Je ne suis pas une foutue infirmière ! Et en plus je suis souvent de sortie, je dois patrouiller pas mal dans les environs ! » protesta la garde forestier, un peu de mauvaise foi, puisque c'était la saison morte.

Le docteur ne répondit pas, mais l'écogarde savait qu'il avait mûrement réfléchi aux possibilités. Désormais le choix lui appartenait, il ne faisait que donner son avis. Frédérique soupira. Son absence de mot était plus convaincante que sa précédente tirade.

La gamine se mit à tousser à ce moment là et elle pivota pour la dévisager dans l'encadrement de la porte. La jeune fille se retourna légèrement avant de grimacer de douleur. Elle sembla se réveiller un instant, marmonnant quelques mots incompréhensibles, avant de se rendormir aussi sec, tremblotant toujours un peu.

La garde-forestier revint au docteur.

- « Elle va se réveiller, annonça t'elle dans une maîtrise parfaite de sa voix.

- « En cas de problèmes, tu connais mon numéro. Elle aura sûrement de la fièvre, n'oublie pas de lui la faire baisser, tu as des médicaments en suffisance, la rassura-t-il. Tout va bien se passer, je suis persuadé qu'elle ne mord pas, tu t'en sortiras très bien. »

Frédérique se renfrogna à l'idée que quelqu'un, même si c'était Hervé, puisse aussi facilement lire en elle. Elle s'apprêtait à raccrocher quand il reprit soudain :

- « Au fait, pense à la vêtir un peu, ou elle risque d'être effrayée à son réveil... »

Il gloussa avant de lancer un joyeux « Bonne chance ».

Il la salua avant de clore la communication.

Frédérique leva les yeux au ciel avant de retourner au chevet de sa malade. Elle lui tâta le front pour le sentir brûlant et partit préparer un verre d'eau avec du doliprane soluble pour qu'elle puisse avaler, ce que fit la jeune fille avant de tousser à nouveau un peu. Devant sa faciliter à avaler, elle prépara un nouveau chocolat comme recommandé. La jeune fille ouvrit un œil vert émeraude et lui lança un regard perdu avant de repartir dans une semi-conscience que devait certainement aider sa température.

La garde forestier aux yeux d'azur se rendit ensuite dans sa chambre pour trouver un pyjama confortable et assez élastique pour convenir à peu près à la patiente. Une vraie infirmière oui, ne put-elle s'empêcher de penser.



Quelques minutes plus tard elle s'autorisa un faible sourire en voyant son œuvre. Jamais sa jeune hôte n'avait paru aussi gamine, flottant dans un ensemble de nuit bien trop large pour elle. Elle donnait l'impression d'être une petite fille endormie.

Mais voilà, cette enfant n'en était pas vraiment une. Elle se trouvait désormais coincée avec une jeune adulte complètement perdue et malade, sûrement mal élevée et potentiellement insupportable, qui allait lui piquer son intimité qu'elle avait forgée avec sa maison, seule dans ses bois. Elle était probablement mal barrée. Elle ignora la partie d'elle qui lui rappelait qu'elle noircissait assurément le tableau. Elle était tout à fait en droit d'imaginer le pire. Elle eut un rictus mauvais. L'avantage de la situation était que si, en cas de force majeure pour la faire taire, elle devait en venir à une extrémité regrettable, au moins, personne ne la chercherait, et personne ne saurait sa présence ici... Bon, mis à part le vieil Hervé Bennoux... Mais elle pouvait bien s'en charger.

Frédérique imagina nettement plusieurs scénarios pour se débarrasser de la gamine, qui impliquaient des cordes, des oreillers, divers objets contondants ou affûtés, voire même une moto-neige, mais qui avaient le point commun d'être tous aussi satisfaisants les uns que les autres pour son mental farouchement solitaire. Elle n'était pas habituée à l'intrusion de personnes dans son espace personnel et n'avait jamais ressenti un tel sentiment de rejet à l'égard de quelqu'un. Elle la voyait déjà gambader dans toute la maison, faire du bruit et l'embêter, la suivre partout.

Elle se morigéna. Ce n'était pas un chiot non plus.



La jeune femme se dirigea vers la fenêtre, notant que la neige montait décidément son campement, alourdissant autant les branche des épineux que son coeur. Encore un peu, et ça serait impraticable. Elle le sentit tomber à hauteur de son estomac. Elle alluma sa télévision pendant qu'elle fonctionnait encore, ne pouvant abandonner sa protégée.

Après plusieurs émissions qu'elle lorgna d'un œil désintéressé, elle sentit une impression désagréable d'inutilité l'envahir. Elle végétait et elle avait horreur de ça. Ses pieds languissaient ses raquettes.

- « L'enfer a un nom, et pour moi ce sera Agnès... » murmura-t-elle pour elle même.

Sûrement les oreilles de la jeune future victime des multiples attentats mentaux de son hôtesse durent siffler, ou son nez la démanger avec fureur, car elle montra de nouveau des signes de réveil, plus pressants et imminents cette fois.

Manquait plus que ça, râla la grande femme. Un peu d'action finalement...



La jeune blonde toussa et gémit quelques paroles incompréhensibles avant d'ouvrir enfin les yeux, qui promenèrent dans la cabane un doux regard vert océan empli d'une lueur interrogatrice.

Elle trouva Frédérique instantanément, puis examina où elle se trouvait avant de revenir sur son hôtesse silencieuse. Apparemment, elle n'avait pas l'intention de faire le moindre pas vers elle.

- « Je... Où suis-je exactement ?

- Chez moi. A l'abri. »

La garde forestier se rapprocha de la gamine qui se tendit légèrement. La grande femme s'accroupit non loin de la patiente, mais pas assez pour la toucher afin de ne pas l'effrayer. Il était temps de montrer qu'elle savait être sociable quand elle le voulait bien.

- « Comment vous sentez vous ?

- Bien... Je... Ça ira ne vous inquiétez pas pour moi, je guéris vite. »

La jeune fille eut une nouvelle quinte de toux qui fit lever un sourcil à sa brune hôtesse. Cette dernière réprima un petit sourire amusé. Au moins, sa patiente n'avait pas l'air de jouer les malades imaginaires, un bon point pour elle.

- «  En effet, vous avez l'air de péter la forme, c'est sûr, ironisa-t-elle. Vous savez comment vous vous appelez et quel jour nous sommes ?

- Je dirais que nous sommes fin novembre, décembre peut être, je n'ai pas trop compté les jours... Mais je m'appelle Sophie. Sophie Monnier. »

Frédérique se releva doucement.

- « Enchantée... Sophie. Moi c'est Frédérique. Vous m'avez l'air fatiguée, vous devriez vous rendormir un moment, ça vous ferait le plus grand bien. Mais avant je vais vous faire quelque chose de chaud à boire. »

La gamine remua sous les couvertures.

- « Non je vous ai assez dérangée, je suis désolée, je vais repartir. Merci pour... »

Le regard étonné de la jeune fille manqua de faire éclater de rire la grande femme. Mais la surprise se transforma en méfiance.

- « Qu'est-ce que...? Où sont mes affaires ? Comment ?

- Je n'allais pas vous laisser vos vêtements humides. Vous êtes déjà assez malade comme ça.

- Mais où sont mes affaires ? »

La garde forestier désigna d'un coup de tête l'étendage devant la cheminée. La jeune fille se retourna brusquement et s'apaisa en reconnaissant ses vieilles nippes qui pendaient.

- « Rassurée ? Maintenant ne bougez pas, je reviens avec du chocolat, ça vous va ? »

La jeune fille voulut protester, mais elle fut coupée par un profond bâillement suivi d'une nouvelle toux sèche qui fit glisser le drap sur son buste, faisant apparaître le pyjama désespérément trop grand pour elle.

- « Avec du sirop ! »

Frédérique récupéra une grande cuillère et revint avec le médicament. Elle en versa et enfourna l'ustensile dans la bouche de la gamine qui manqua s'étouffer. Elle lui tendit ensuite un bol de chocolat qui fut englouti avec reconnaissance.

Elle respirait mal et semblait à bout de souffle. Elle grimaçait de douleur et l'écogarde pouvait voir à ses yeux brillants qu'elle avait mal à la tête. De plus, elle frissonnait régulièrement, laissant présager une montée de fièvre.

La garde forestier attrapa sa patiente sous les épaules et sous ses genoux et la souleva. Cette dernière commença à se débattre.



- « Laissez vous faire ! Je vous emmène dans la chambre, vous avez besoin de repos, vous partirez après. Si vous sortez comme ça maintenant, c'est la mort qui vous attend. »

Cela calma immédiatement la gamine qui se laissa faire, apparemment gênée de la situation.

- « Je pouvais marcher ! protesta-t-elle.

- Je n'en suis pas aussi sûre. »

Elle poussa la porte de la chambre du pied et la cala dans le grand lit, faisant glisser les couvertures sur elle.

Elle rechercha le sachet de médicaments et les lui administra, expliquant leur usage et leur effet à chaque fois à la petite suspicieuse.

Elle la veilla un instant, le temps que la jeune fille tombe comme une masse dans le royaume de Morphée. Elle écouta sa respiration difficile devenir plus profonde et plus lourde.

- « Dors maintenant. On aura des trucs à se dire quand tu te réveilleras... Sophie ! »



Frédérique sortit et ferma doucement la porte. Elle retourna à la cuisine où le portefeuille et les maigres possessions de la jeune fille étaient toujours posés en évidence. Elle ouvrit le téléphone portable pour en dégager les composants. Toutes les inscriptions étaient effacées et il ne faisait aucun doute que l'objet avait pris l'eau. Elle sortit la carte sim, mais connaître le nom de l'opérateur ne l'avançait pas vraiment. Elle soupira en le ré-assemblant. Dans la police... Non, elle n'était pas dans la police !

Elle se dirigea vers le poste de radio, l'alluma sur une fréquence locale avant de s'affaler dans son fauteuil, les jambes étendues croisées à hauteur du mollet.

Elle attrapa une grille de mot fléchés, écoutant distraitement la musique s'élever, mélodieuse. Dehors la neige continuait à tomber.

La musique cessa, laissant place aux informations. Frédérique releva la tête pour écouter. La météo annonçait des tempêtes de neige, bloquant les chasse-neige. Les portions de routes allaient officiellement être fermées dans son coin de montagne. Voilà une semaine que les routes étaient à demi barrées en l'attente de cet événement. Mis à part deux trois chalets, ces chemins goudronnés ne desservaient personne.

Frédérique ferma les yeux un instant. Ça allait être sûrement un très long hiver. Qu'allait elle donc faire de la gamine qui dormait actuellement dans son lit ? Et surtout, combien de temps allait elle y rester...

Frédérique se leva et enfila ses bottes, ses gants et son blouson pour sortir. Agressée par le vent glacé qui la frappait au visage et faisait virevolter ses cheveux, elle avança jusqu'à sa moto pour la mettre à l'abri dans son garage où elle devrait rester toute la saison. Déjà le chemin devant sa maison était blanc et ne se distinguait plus du jardin.

L'air était calme et tellement silencieux. La garde forestier vit au loin un unique oiseau qui cherchait un coin dans un buisson pour se protéger du froid. La grande femme fut parcourue d'un frisson et se décida à retourner chez elle.

Elle se déshabilla avant de passer une tête dans l'entrebâillement de la porte de la chambre. La gamine dormait toujours paisiblement et elle se retira doucement vers son bureau en secouant la tête. Elle avait de la paperasse et des procès verbaux à remplir, des petits dossiers pour lesquels elle n'avait pas encore trop de retard mais qu'il fallait clore.



Sur les coups de 14h, Frédérique cessa son activité et se rendit à la cuisine. Elle sortit une boite de raviolis. Pendant que le repas cuisait, elle retourna dans la chambre voir son hôte.

Elle s'approcha du lit et posa sa main sur le front de la malade. Apparemment, elle avait encore de la fièvre, mais ce qu'on lui avait donné semblait en avoir coupé une bonne partie.

La garde forestier avala son déjeuner en vitesse et emporta la part supplémentaire sur un plateau avec les médicaments à sa jeune patiente.

Comment ça se réveille une gamine qui dort ? Une image de la belle au bois dormant s'insinua à travers les pensées de la grande femme qui sourit.

- « Bon, à part dans les contes de fées bien sûr. »

Elle s'assit sur un coin du lit et caressa la joue de l'endormie.

- « Sophie ? Ou peu importe ton nom d'ailleurs... Ouvre tes yeux s'il te plaît... C'est l'heure de la popote ! A la soupe ! »

Mais la jeune fille semblait désespérément dans le royaume de Morphée. Frédérique repensa aux médicaments qu'elle lui avait fait prendre. Le sirop avait pour effet secondaire une somnolence. Elle même ne les craignait pas trop, mais dans son état, cette fille là...

Elle ouvrit doucement la bouche de la blondinette et y versa un peu d'eau. Cela sembla provoquer enfin une réaction positive car la gamine ouvrit doucement les yeux, étonnée et ne comprenant pas bien ce qu'il se passait.

- « Bien dormi ? »



Frédérique se recula pour laisser la jeune fille respirer et également parce que sa proximité la gênait.

- « Oui. J'ai rêvé que... Enfin, peu importe ce dont j'ai rêvé. Après tout, ce n'était pas réel. »

La garde forestier ignora la mine déconfite de sa protégée. Elle pouvait bien vivre dans son sommeil une vie meilleure, en ce moment c'était dans son chalet qu'elle était. C'était la seule chose qui importait.

- « Tu devrais manger. »

Elle se releva et posa le plateau avec le repas sur le lit, à portée de la malade afin qu'elle puisse y piocher dedans. Au moins, en sortant, elle ne l'entendrait pas brailler qu'elle n'aime pas.

Filant en cuisine elle commença à nettoyer la maigre vaisselle utilisée, observant le paysage qui s'offrait à elle par la fenêtre, juste au dessus de l'évier.

La neige formait déjà une épaisse pellicule blanche immaculée à perte de vue. Les seuls endroits où elle ne recouvrait pas le sol formaient des cercles bruns sous les sapins qui ponctuaient le jardin. Le bout des branches nues des feuillus se balançaient au gré d'un vent désormais doux.

Les flocons tombaient toujours abondamment, et Frédérique ne doutait pas un instant qu'il y en aurait pour deux mois minimum avant que tout ne fonde.

Alors qu'elle posait une casserole sur l'égouttoir, un bruit sourd la fit se redresser. Pestant contre le hasard qui lui avait mis cette gamine sur sa route, elle se précipita dans la chambre. Ouvrant grand la porte, elle vit tout d'abord le lit vide, avec les draps retournés.



Son regard dévia sur la masse qui bougeait près du mur. La jeune blonde était étalée par terre et semblait essayer de se relever, s'aidant du mur et poussant sur ses mains, mais ses tentatives étaient infructueuses.

Elle la saisit vivement par la taille et la releva, cherchant son regard pour savoir ce qu'il s'était passé, après avoir jeté un bref coup d'œil aux alentours. Tout semblait pourtant en place.

- « Je ne comprends pas, j'ai voulu... mais je suis tombée... oh non, je suis désolée, je... »

Frédérique baissa la tête pour découvrir ce qui embêtait tant la fillette. Par terre gisait le reste de l'assiette qu'elle lui avait emmenée, ainsi que le verre désormais sans pied. Seul le plateau avait tenu bon.

- « Mais...

- Je voulais juste vous le ramener, mais j'ai perdu l'équilibre, je me suis cognée au mur et je suis tombée, j'ai pas fait exprès, je suis désolée... »

La gamine semblait au bord des larmes, et c'était une chose que la garde forestier ne supportait pas.

- « Ça va, ça va, ce n'est pas grave. »

Elle aida la gamine à clopiner jusqu'au lit pour la recoucher.

- « A partir de maintenant, vous restez couchée, vous ne vous levez pas. Vous avez pris vos médicaments au moins ? »

La jeune fille regarda sur la table de chevet. Les boites étaient soigneusement rangées. Elle rougit légèrement.

- « Oui oui... »

Frédérique leva les yeux au plafond, pas dupe pour deux sous.

- « Ne bougez pas, je reviens. »

Elle ressortit vivement avant de ricaner. Vu son état, elle n'allait pas bouger bien loin. Cependant, si elle lui cassait un couvert à chaque repas, elle allait vite être à court... Peut être que si elle lui en trouvait en plastique...

Ravalant sa mauvaise foi, la garde forestier ramena un autre verre plein d'eau et fit prendre ses cachets à sa patiente avant de ramasser les boites et les éclats de verre et de céramique.

La jeune fille pendant ce temps ne pipa mot, la regardant sans broncher, les yeux à nouveau plein de sommeil.

La garde forestier sortit tandis que son hôte sombrait dans les méandres de l'inconscience. Elle termina la vaisselle avant de s'isoler dans son atelier.

Elle saisit délicatement son couteau, et l'aiguisa afin qu'il devienne plus tranchant. L'acier sur la pierre à aiguiser filait rapidement, produisant un petit bruit cristallin qui aurait fait froid dans le dos à quiconque serait entré à ce moment là. Mais elle était seule, seule au milieu de la grande pièce, sous l'attention immobile des créatures qui l'observaient. Son regard désormais vide et inexpressif se porta vers le mur du fond où il suivit un instant quelques courbes gracieuses qui se découpaient.



Le soir vint rapidement et Frédérique alla rendre une petite visite dans la chambre pour voir où en était la gamine.

Cette dernière dormait à poings fermés, et la grande femme ne pouvait décemment pas la réveiller ainsi. Sa crinière de cheveux blonds semblaient lui dessiner une auréole, songea la garde forestier. Elle repensa à la carte d'identité toujours sur la table. Bon, elle n'était certainement pas un ange...

Peu importait, elle avait déjà mangé à midi et elle n'allait pas périr pour avoir sauté un repas. Dans son état, autant qu'elle dorme.

Elle se décongela un plat individuel avant de s'installer sur son fauteuil, repensant à ce qu'elle aurait à faire le lendemain. Elle allait s'amuser dans la poudreuse !

Sur les coups de 20h, elle alla mesurer la hauteur de neige à l'extérieur. Pendant l'après-midi, il en était tombé 50 centimètres. La neige était encore légère et non tassée, finalement pour l'instant, c'était moins que les autres années.

Elle s'installa à son bureau pour envoyer ces données au contrôleur de la météo avant de se détendre avec des musiques passant à la radio.

Elle s'apprêtait à aller se chercher son bouquin du moment quand le téléphone sonna brusquement, la faisant sursauter.



Elle décrocha rapidement.

- « Finaut ?

- Frédérique ? C'est moi ! C'est toujours moi qui appelle d'ailleurs, tu pourrais faire un effort ! »

La garde-chasse ferma les yeux.

- « Tu m'entends ? Il parait que le temps se gâte chez toi ! Tu t'habilles bien j'espère ! »

La grande femme marmonna un vague assentiment avant que la voix ne reprenne.

- « Tu nous manques tu sais ? Ton frère vient nous voir lui au moins, toi nous ne te voyons jamais. Quand est-ce que tu nous rends visite ? Un jour nous allons venir débarquer chez toi puisque tu ne le fais pas. Ce sera comme pour les appels ! J'ai l'impression de n'avoir qu'un seul enfant !

- Maman, Guillaume habite en face de chez vous, c'est normal qu'il puisse venir...

- Tu n'habites pas à l'autre bout du monde non plus ! Tu peux bien venir de temps en temps. Au moins une fois tous les deux mois ! Ça fait combien de temps que l'on ne s'est pas vues ? Deux ans ? Trois ans ? Si je n'appelais pas, je pourrais croire que tu es morte ! Et nous, tu ne t'inquiètes pas de notre santé aussi ?

- Je n'en ai pas besoin, tu m'appelles assez souvent pour que ça n'ait pas le temps de changer...

- C'est un reproche ? Parce qu'en plus je ne devrais plus t'appeler ? Je t'appelle trop c'est ça ? Alors là je n'en crois pas mes oreilles !

- Je ne voulais pas dire ça ! J'aime bien que tu m'appelles et me donnes des nouvelles.

- Et ce ne serait pas plus simple si tu venais ? Juste un week-end ! En fin de semaine prochaine si tu veux, je serais là, tu peux venir ! J'aimerais beaucoup vous avoir, Guillaume et toi, à la maison. »

Frédérique soupira doucement. C'était immanquablement la même rengaine. Elle s'était isolée pour éviter le monde, et toujours sa mère lui demandait de revenir. Mais c'était trop difficile pour elle. Elle ne pouvait pas, pas encore. Elle était trop bien dans son paradis solitaire... Même s'il était moins solitaire aujourd'hui. Elle ne voulait pas retourner en ville.

- « Je suis désolée, c'est le début de la tempête, je ne pourrais pas m'absenter, au cas où il y ait un problème. Je suis responsable ici. De toute façon, les routes sont impraticables. Et puis, je ne suis pas toute seule chez moi. »

Il y eut un silence au bout du fil, et Frédérique se gifla mentalement. Elle aurait mieux fait de se taire, sa mère allait commencer à s'imaginer plein de choses.

- « Tu as quelqu'un chez toi ? Oh... Mais... Cette personne peut venir également tu sais... La porte est également ouverte à tes... amis.

- Ce n'est pas...

- Qui que ce soit tu peux l'emmener je te dis ! Tu viendras ? »

Frédérique se frappa la tête contre le mur.

- « Non, je ne pourrais pas, je te l'ai déjà dit. En plus, elle ne peut pas bouger...

- Tu ne peux jamais ! Tu ne peux jamais rien chaton ! Tu crois vraiment que ça nous fait plaisir de ne jamais te voir ? J'ai parfois l'impression de t'avoir eu dans un rêve ! Je fais le serment que cette année on se retrouvera, peu importe comment ! Ne crois pas pouvoir t'en tirer comme ça ! »

Le bip traînant de la fin de conversation résonna un moment avant que Frédérique se décide à raccrocher le combiné sur son socle. Avec un soupir, elle commença à composer le numéro de sa mère, avant de se raviser.

Ce n'était pas la peine d'entamer une nouvelle dispute n'est-ce pas ? Car au bout du compte, c'est ce qu'elle trouverait.

Elle se rassit sur son fauteuil, ses pensées se portant sur des sujets qu'elle ne voulait pas ressasser mais qui revenaient à sa mémoire après chacun de ses appels.

Elle remua la tête comme pour chasser ces idées noires avant de ressortir son bouquin. Mais après quelques pages, son esprit était de nouveau en vadrouille sur les pentes obscures de son passé.

Énervée, elle jeta le livre contre le mur en face d'elle et se leva. Elle vérifia que la petite dormait toujours avant de s'enfermer dans son atelier.

Elle saisit son couteau avec rage, et le faisant sauter dans sa main, elle se dirigea d'un pas sec vers sa pierre à aiguiser.

Ça c'était une activité capable de lui vider l'esprit, et elle mit du corps à l'ouvrage, restant dans ce hangar pendant deux longues heures avant de décider qu'il était temps d'aller se coucher.

Elle se releva et retourna dans le salon. Un nouveau problème s'offrait à elle : elle n'avait qu'une seule chambre...



Frédérique pesta, envoyant son hôte au diable comme elle savait si bien le faire. Elle récupéra une tenue de nuit dans sa commode dans la chambre, ainsi qu'une couverture chaude, en faisant le moins de bruit possible pour ne pas réveiller la dormeuse.

Retrouvant son fauteuil, elle s'étendit au maximum, s'emmitouflant dans la couverture pour sombrer rapidement dans des rêves étranges et peu accueillants.



Frédérique poursuivait un jeune voleur, un garçon qu'elle avait jadis souvent côtoyé, qui portait pour une raison inconnue une énorme casquette à l'envers. Quand elle parvenait enfin à le rattraper elle était soulagée. Mais contre toute attente, le garçon se mettait à crier d'une voix fluette.

La garde forestier ouvrit les yeux instantanément. Recouvrant ses esprits elle reconnut où elle se trouvait. Elle se détendit à nouveau doucement dans son fauteuil, récupérant de son rêve étrange, quand le cri du jeune garçon retentit à nouveau... mais elle ne rêvait plus. Et le son provenait de sa chambre.

Envoyant valdinguer sa couverture par terre, elle se précipita sur la porte et l'ouvrit d'un coup sec, découvrant sa jeune protégée gesticulant dans tous les sens en gémissant. Dans tout le charabia qu'elle pouvait entendre, seul le mot « attend » semblait revenir sans cesse.

La garde forestier avala la distance qui la séparait du lit et entreprit de calmer la jeune fille en la réveillant doucement. Mais cette dernière attrapa son poignet avec force et serra sa main, comme si sa vie en dépendait et qu'il s'agissait d'une bouée de secours.

Puis elle ouvrit enfin les yeux, complètement perdue. Son regard chaviré reprit quelques repères et elle lâcha la main pour agripper la couverture à la place.

- « Ça va... Je vais bien, juste un... un cauchemar. »

Frédérique grogna pour toute réponse. Elle ne s'attendait pas vraiment à être réveillée de cette façon et elle était un peu de mauvaise humeur. Elle dormait déjà sur le fauteuil, mais si en plus il fallait qu'on la réveille au bout de 20 minutes !

La garde forestier consulta sa montre et fut étonnée par ce qu'elle y lisait. Il était 5h du matin, elle ne pensait pas avoir dormi aussi longtemps.



Elle se retira et retourna finir sa nuit qui fut du reste fort paisible et sans hurlements d'aucune sorte.

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24 juillet 2009

Rencontre : Le rang contre

Le Rang Contre

Nous étions tous sur une même ligne, un peu en biais.

J’étais celui le plus en retrait.

Nos adversaires respectifs arrivaient et resserraient de plus en plus l’écart entre nous et eux.

Ils allaient passer…

Je me préparais à intercepter mon adversaire direct.

C’était ma première rencontre véritable dans ’’la cour des grands’’.

« Stressé ? » m’avait demandé mon capitaine.

J’avais dit non mais il avait dû voir que je mentais.

Le cuir arriverait bientôt à moi.

Notre adversaire principal tomba, un des notre l’a immobilisé.

Il a cependant eu le temps de passer la relève à un de ses camarades.

La balle m’arrivait droit dessus.

J’étais tendu, prêt à faire un bon.

Soudain mon compagnon à coté de moi l’intercepta.

Il me l’envoya rapidement.

J’attrapais le projectile rapidement.

Une ouverture…

Je voyais la distance à parcourir…

Je m’élançais comme un fou sur le gazon coupé court.

Celui en face de moi essaya vainement de m’arrêter.

Deux autres me poursuivirent, essayant de me plaquer au sol l’un après l’autre.

Je les évitais.

J’étais le plus rapide de mon équipe et j’étais désormais hors de portée de mes adversaires.

J’entendais les encouragements des autres.

C’était comme dans un rêve.

Je passais enfin la ligne tant attendue.

Le sourire aux lèvres, je posais le ballon ovale à terre avec délicatesse.

Les miens arrivèrent alors et m’embrassèrent tous à la fois.

C’était l’euphorie, je venais d’ouvrir le score.

24 juillet 2009

Rencontre : Lorsqu'une demie heure devient une heure et demie

C’est samedi soir. Il va bientôt être 19h30. J’ai mis la table ; quatre couverts. Dominique n’est toujours pas arrivé. En retard, mais non, il n’est jamais en retard. Il a dit qu’il serait là à 20h. Je jette un coup d’œil dans la cuisine. La moussaka cuit au four. C’est Dominique qui a eu l’idée de ce plat grec. Il l’aime beaucoup.

19h31. Le couloir est propre. Je viens de passer la serpillière. Cette soirée va être pire que mon entretien pour entrer dans la boite.

19h40. Que fait-il ? Toujours pas là. C’est normal. Attention à la moussaka, il ne faudrait surtout pas la faire brûler. Pourtant, cet entretien avait déterminé ma carrière. J’ai fait des pâtes. Avec la moussaka, ça devrait aller.

19h42. Il doit être sur le chemin du retour. Je vais tout de même voir à la fenêtre. La rue est vide. Je n’étais pas la seule pour ce poste, on était huit je crois. En entrée, j’ai préparé du saumon mariné avec du citron. Ce n’est pas lourd comme plat. Et puis tout le monde aime le saumon.

19h43. Le téléphone sonne. « Allô ? Dominique ? Du retard ? Un embouteillage ? 21h ? Très bien, à tout à l’heure. Oui moi aussi. » Il est drôle. Et le repas ! Je l’avais préparé pour 20h moi. Elles étaient toutes plus âgées que moi pourtant, elles avaient plus d’expérience. Hier je suis allée chercher du fromage. J’ai été dans une petite ferme que Dominique aime beaucoup. Ils font les meilleurs, paraît-il. Moi je ne sais pas, je n’aime pas le fromage.

19h50. Il ne reste plus qu’une heure dix. De toute façon on aurait pris l’apéritif, alors le repas aurait quand même refroidi. Ce n’est donc pas si grave ce retard. Heureusement que l’on a investi dans un four à micro-ondes. On le réchauffera. Je tremblais, lorsqu’on m’a fait pénétrer dans le bureau du patron. J’ai beaucoup hésité entre la salade de fruit et la tarte aux pommes. Finalement, j’ai fait des poires au sirop. Avec les poires du poirier de mes parents. Ce sont les plus juteuses que je connaisse.

20h00. Le soleil se couche. C’est beau un soleil qui se couche. Le ciel est orange. Il fera beau demain. La moussaka ! Ca va, elle n’a pas brûlé. Hop, sur la table. Je regarde machinalement s’il n’est pas arrivé. Pas encore. Je ne savais pas quoi dire ce jour là. Je m’étais sentie rougir, mes oreilles étaient en feu. Pénible moment. En plus les poires au sirop, ça aide à la digestion. Et puis c’est bon. Habituellement je ne pense pas à en faire. Même Dominique a été surpris, et pourtant ça n’arrive pas souvent. Je suis éreinté. C’est moi qui les ai cueillies. Avec le vieil escabeau de mon père.

20h10. Que cette attente finisse ! Je suis à bout de nerfs. J’ai pris les boules anti-stress de Dominique. Ça ne marche pas ces billes. Si je meurs d’une crise cardiaque, ce sera sûrement à cause de lui. J’allume la télé. Les informations. Un carambolage ! J’éteins tout de suite. Des questions banales. Pour me calmer. C’est un bon patron. Il sait comment faire pour mettre à l’aise quelqu’un. Un mélange de cacahuètes, de pistaches et d’amandes et hop ! Le tour est joué. Des chips aussi. Des petites parts de pizza et c’est tout. Il ne manquerait plus que personne n’ait faim pour la suite. Ce serait dommage. Je n’aimerais pas avoir fait ce repas pour rien ! Cela fait deux jours que j’y suis dessus.

20h20. J’ai allumé la radio. Il y avait de la musique. Ah, la musique ! Il n’y a rien de mieux pour détendre quelqu’un. Il y en a certains que ça dérange pourtant. Je ne comprends pas ces gens. Une voiture, c’est lui ! Non, ce n’est que le voisin. Un homme bien mignon mais un peut ronchon si vous voulez mon avis. J’ai bien fini par lui parler. Mes motivations, mes stages, ma situation familiale et mon zèle. Il m’a rappelé avant hier pour me dire que j’étais prise et que je commençais demain. Je suis vraiment heureuse. Ça faisait cinq mois et dix-sept jours que j’attendais un job comme ça. J’ai hâte de voir mes collègues. D’ailleurs j’aimerais bien qu’il se dépêche. Enfin demain ça n’est qu’une phase d’essai. Trois mois d’essai. J’ai bon espoir. Je pense qu’il est sur le retour.

20h30. J’ai trouvé un stratagème génial contre le stress. Je compte. Quatre assiettes. Huit verres, quatre à vin, quatre à eau. Douze couteaux, quatre à viande, quatre à poisson, quatre à fromage. Huit fourchettes. Quatre cuillères. C’est reparti. Alors, quatre assiettes… Tiens, elles ont des formes étranges… On dirait des moutons…

Un bruit de serrure. On ouvre la porte. Quelle horreur ! 21h ! Je vais en vitesse dans la salle de bain. J’ai les marques de l’assiette sur ma joue. Elles disparaissent vite. J’entends du bruit dans le couloir. Je me recoiffe. Ils se rapprochent. C’est parti, je suis prête. J’ouvre la porte. Ils sont encore dans le vestibule. Je deviens folle. Il faut faire réchauffer la moussaka. Non, pas tout de suite.. Les voilà. Ils sont tous les trois là. Alors voilà à quoi ressemblent les parents de Dominique. Ils ont l’air gentils. Il faut qu’on s’entende s’ils deviennent un jour mes beaux-parents.

24 juillet 2009

Rencontre : le fruit

Le fruit

C’est lui que j’ai vu en premier.

Il était plutôt mignon. Des yeux gris, comme les miens, sous des épais sourcils et des cheveux bruns. Pas une ride, souriant.

Il me regardait comme si j’étais le messie. Je veux bien croire que j’étais promis à une destinée exceptionnelle, mais de là à être le messie ! Je lui ai quand même rendu son sourire.

Il s’est mis à gesticuler dans toute la pièce en prononçant des paroles incompréhensibles. Il m’a vite fatigué. J’ai baillé. J’avais mal aux yeux. Il s’est approché de moi.

-« Alors, il est fatigué le moustique ? »

J’y crois pas ! Il se moque de moi en plus. Je veux bien croire que je ne suis pas un géant, mais quand même… Finalement, je ne veux plus dormir. J’ai envie de lui crier mon mécontentement, mais je n’y arrive pas. Je m’énerve de plus en plus. J’essaye de taper au hasard. C’est comme cela que je vois que de hautes barrières m’entourent. Pourquoi je suis enfermé et pas lui ? Il me regarde d’un air attendri.

Il m’énerve… il m’énerve…

Et moi qui suis impuissant, derrière ces barrières ! Pourquoi continue t-il à me regarder ? Je ne veux plus le voir. Vas-t’en ! Je n’arrive pas à lui parler. Laisse - moi tranquille… Je sens une goutte chaude qui sort de mon œil droit. J’ai envie de pleurer, de crier, de taper. J’ai envie d’extérioriser cette violence en moi. Je crie ! Un long hurlement sort de ma gorge, qui me vient du plus profond de mes poumons. Ca me fait mal, mais je continue. Une femme que je ne connais pas arrive. Elle porte une robe blanche, un petit gilet blanc sur une chemise blanche. L’homme ne sait plus que faire. Il s’est éloigné de moi. Il a l’air un peut inquiet. Il laisse la femme s’activer. Elle me prend dans ses bras. Je vois tout. La femme sur le lit, celle qui me tient, les murs blancs, les draps blancs. Tout me paraît lumineux et me fait mal aux yeux. Mes paupières sont lourdes. J’arrête de crier. J’ai confiance en elle.

Je m’endors bercé.

C’est la première fois que j’ai ouvert les yeux de ma vie. C’était ma première rencontre avec le jour, avec la vie, avec mon père !

24 juillet 2009

Rencontre : 186 631 001

186 631 001

Pas de coups de feu mais un départ précipité.

Cela peut vous paraître énorme, mais j’avais l’impression que nous étions des milliards et des milliards dans cette chambre. Nous dormions. Nous dormions même depuis longtemps. Je faisais parti des plus jeunes.

La porte s’est ouverte brusquement. D’un même élan, d’une même vague, nous sommes sortis. Nous avons suivi le couloir qui descendait. Soudain, nous avons été soulevés par de l’eau. On aurait pu se croire sur un toboggan. Heureusement, nous étions équipés pour pouvoir vivre même sous l’eau. On se laissait glisser.

Nous avons été projetés dans un endroit immense. Ainsi allait commencer la plus grande course de ma vie de célibataire. La course de l’âme sœur. Celle qui allait décider de mon destin. La course la plus dangereuse. Je voyais à présent mes compagnons de chambre comme des rivaux. Je suis parti. Il fallait que je sois le premier.

Un mur invisible et palpable me retenait. Je ne pouvais pas passer. Les autres non plus. Sur ma gauche, une ouverture déchirée. Je suis sorti rapidement, mais d’autres l’avaient fait avant moi. Il fallait que je me dépêche. J’étais alors dans une petite grotte. Mon instinct me poussa à continuer.

J’ai trouvé un boyau. Je savais que c’était le seul chemin. Une sorte de toile d’araignée se tenait dans l’entrée et se poursuivait encore loin à l’intérieur. Je n’en voyais pas le bout. Un autre a profité de mes doutes pour s’engager dans le tuyau étroit.

Je le suivis, prenant bien soin de ne pas m’empêtrer dans le filet que je savais meurtrier. On savait tous que cette épreuve serait la plus difficile. Celui devant moi avait l’air très costaud. Il se mouvait dans cet endroit hostile avec aisance. Il avançait tout droit et se détournait soudain avec légèreté. Il était très rapide et j’ai eu beaucoup du mal à le suivre.

Soudain, il s’est stabilisé. Il s’était pris dans un énorme fil collant et n’arrivait plus à se libérer. J’avais perdu mon guide. Il allait falloir me débrouiller par moi-même. Je devais continuer. J’ai suivi le chemin que j’avais commencé à emprunter. Gauche… Gauche… Droite, non gauche !... J’avais failli me laisser prendre par une de ses souples lanières gluantes.

Je suis enfin arrivé à passer les dernières mailles de ce rets diabolique. Il n’a pas été cependant question de faire une pause. Je me trouvais à présent dans une salle immense et triangulaire. Au lieu de chaque angle se trouvait un chemin. J’étais au centre d’un carrefour. Lequel des deux chemins qui se présentaient à moi devais-je prendre ?

J’ai vu un autre concurrent me doubler et prendre le chemin de droite. Mon instinct lui a donné tort et je suis parti à gauche. J’ai eu l’impression qu’une force irrésistible me poussait en avant. Cependant j’ai continué ce couloir avec une angoisse croissante. Allais-je trouver au bout le trésor que je cherchais ? Celle avec qui j’allais partager ma vie ? Celle avec qui je ne ferais plus qu’un ?

Je l’ai vu, enfin. Elle était magnifique avec sa forme courbe. Elle était plutôt ronde, mais je n’étais pas déçu. Je m’aperçut qu’une large aura l’entourait. Elle semblait emplir toute la largeur du couloir. Cela lui donnait l’air d’un ange, d’une déesse.

Je me suis aperçu avec effroi que d’autres que moi étaient arrivé. Je fut terrifié à l’idée d’assister au mariage d’un autre et non du mien. Peut-être que la belle n’avait pas encore choisi son partenaire. J’avais peut-être encore une chance.

J’ai voulu contourner ma divine aimée, mais je fus pris dans son aura traîtresse. Je me suis raccroché à elle du mieux que j’ai pu.

Soudain, elle s’est ouverte. A l’endroit où je m’accrochais quelques minutes auparavant se trouvait désormais un orifice. J’étais celui qu’elle avait choisi. J’entrais ma tête dans le trou béant. J’ai eu comme l’impression qu’une porte s’était refermée sur ma queue de têtard. J’étais si heureux que je n’ai pas chercher à vérifier. Cela ne m’avait fait aucun mal. Je n’ai gardé aucun souvenir de ma fusion avec mon âme sœur.

C’est ainsi que moi, 186 631 001, infime petit spermatozoïde, eu le droit et le grand honneur de donner la vie à une charmante petite fille du nom d’Ella G. grâce à un préservatif troué.

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24 juillet 2009

Souvenirs d'un ange

Souvenirs d'un ange

Anne s'assit sur le banc, le regard dans le vide. Voilà deux ans qu'elle était enfermée pour un crime qu'elle n'avait pourtant pas commis, mais ce n'était pas important, ici ou ailleurs, au moins ici elle pouvait se cacher...


Elle détailla les bourgeons fleuris, ces odeurs colorées qui emplissaient ses narines tandis que les rayons du soleil se posaient tendrement sur ses vêtements gris.


Son esprit erra un moment, avant de se remémorer cette terrible dispute, laquelle, quatre printemps auparavant, l'avait finalement menée là où elle était aujourd'hui. Cette gifle claquante qu'elle avait ressentie dans sa main, la chaleur se propageant dans son bras... Et cette petite poussée, ridicule, douce et pourtant assez forte pour briser son monde. Et puis cette chute, ces escaliers de bois, son incapacité à se retenir... La stupéfaction, et les cris, les cris qui résonnent encore dans ses oreilles, qui hantent ses rêves... Sans oublier le sang qui s'écoule soudain, l'inquiétude qui lui dévore les entrailles.


Évidemment, cela avait détruit son couple, c'était inévitable. Il avait tout simplement disparu, du jour au lendemain, disparu de sa vie, de son cœur... Une seule fois elle l'avait revu, et cela avait failli la détruire, la rendre folle... Elle s'était sauvée en s'occupant de leur enfant, son unique joie de vivre, son trésor qu'elle gardait jalousement.


Elle reporta son regard sur le garçonnet dans la cour, tripatouillant quelque chose dans la terre qu'Anne ne pouvait pas voir.


Il dut se sentir observé, car il releva la tête et la fixa avant d'esquisser un grand sourire en la reconnaissant.


- « Maman ! Viens voir, viens! Regarde j'ai trouvé! »


La jeune mère poussa un faux soupir contrarié avant de se lever. Il aurait bien pu lui demander la lune, elle l'aurait décrochée avec plaisir!


Elle alla s'accroupir devant la fourmilière à coté du petit ange blond. Ce dernier planta un petit bâton dans le tas de terre en s'émerveillant.


- « Ça court, ça court! »


Il approcha un doigt du centre de son attention et 3 insectes y grimpèrent dessus. Il brandit son index triomphant, en riant face aux chatouilles, devant le nez de la jeune femme.


Cette dernière lui sourit et posa la main sur son bras, attendant que les petites bêtes lui grimpent dessus à son tour.


- « Tu sais Bastien, cette fourmilière c'est comme un château. Tu vois, chaque petite fourmi est un soldat qui a pour devoir et obligation de protéger sa reine.

- Veux voir ! »


L'enfant commença à touiller la terre devant lui, semant la panique chez les victimes de la destruction de leur maison. Mais nulle trace de la reine dans cette tambouille de terre. Le garçon regarda à nouveau sa mère avec un air interrogatif et perdu.


- « C'est très difficile de voir la reine, elle se cache, et ses soldats ont du la cacher dans une salle secrète maintenant. Mais la prochaine fois tu l'apercevras peut être.
- Ça court vite une reine? »


Anne acquiesça et le garçon se jeta dans ses bras.


- « Aussi vite que ça? »


L'enfant se dégagea soudain et se mit à galoper au loin en criant comme un fou. Anne eut un petit rire, elle ne se lassait pas de le voir faire. Si seulement il ne grandissait jamais.


- « Non, tu as raison, tu cours plus vite qu'une fourmi! »


Le petit garçon disparut bientôt derrière une haie. Il était si beau, l'enfant dont Anne avait toujours rêvé, la chair de sa chair, ce petit être qui avait bien failli ne jamais voir le jour... Il était si spécial. Elle ne regrettait rien, même si à cause de lui elle était ici, il fallait le cacher, il était si important. Dire que cette chute dans les escaliers avait failli lui couter ce bonheur de l'avoir, son père avait tenté de le tuer, de les tuer tous les deux, mais il avait échoué, et c'était ce qui comptait.


Anne appela doucement le garçonnet, jouant à cache cache, c'était son divertissement préféré, la rendre chèvre, mais le voir sautiller sur place quand elle le trouvait était pour elle une source de joie indescriptible. Elle ne pouvait s'empêcher de rire à toutes ses cabrioles.


Elle sentit soudain des doigts attraper sa main.


- « Anne, vient, c'est l'heure d'aller manger. »


Elle se retourna pour voir la femme qui venait de parler et reconnut Jocelyne. Elle détailla sa tenue immanquablement blanche. C'était dans ce lieu une des personnes qu'elle aimait le plus.


- « Oui, j'arrive, mais je cherche Bastien d'abord, il se cache. »


La nouvelle arrivante eu un tic avant de sembler se souvenir.


- « Bastien n'est... enfin je crois qu'il est déjà rentré, il me semble l'avoir vu à l'intérieur. Il doit déjà être en train de manger au réfectoire. »


La jeune mère suivit sa compagne jusqu'à l'intérieur et se laissa convaincre de s'asseoir devant une assiette. Le garçon n'était nulle part en vue dans le grand réfectoire, mais avec le chahut et le bruit ambiant, il pouvait être n'importe où. Jocelyne allait aller le chercher, il n'y avait pas d'inquiétudes à avoir... n'est-ce pas ?


Anne eut soudain peur que quelqu'un ait pu l'enlever... Après tout, il y avait des détraqués de partout n'est-ce pas ? Et Bastien plus que quiconque était vulnérable. La jeune mère vivait depuis la naissance de l'enfant dans la peur qu'une telle catastrophe arrive ! Et si quelqu'un d'ici était complice ? Jocelyne même peut être qui sait !


Elle se leva doucement pour ne pas éveiller les soupçons et prit le chemin qu'avait emprunté l'autre femme.


Elle entendit enfin des voix s'élevant d'un bureau. Son oreille attentive perçut bientôt les mots échangés, il y avait un homme avec celle qu'elle pistait, c'était lui qui parlait.


- « Il va falloir que l'on s'occupe d'Anne, vous avez raison. Voilà un moment qu'elle est ici, trop longtemps...
- Tout à l'heure elle cherchait Bastien, il faut que cela cesse. »


Les deux se turent un moment et la jeune mère retint sa respiration. Qu'avaient-ils pu faire de son garçon ? Il ne fallait surtout pas qu'ils découvrent qu'elle était là.


La voix masculine reprit.


- « J'ai prévenu sa mère de toute façon, elle sera là d'un moment à l'autre. Avec elle nous aviserons de ce qu'on doit faire, un choc pourrait lui être autant bénéfique que mauvais dans sa situation, nous ne savons pas comment elle va réagir... Où est elle en ce moment ?
- Elle mange avec les autres évidement... »


Un petit silence s'installa, mais Jocelyne finit par se confesser :


- « Docteur, la voir comme ça c'est quand même triste. Je crois qu'il faut lui dire la vérité, la faire réagir, lui faire comprendre que son enfant n'existe pas, même si c'est douloureux, et même si elle doit revivre sa fausse couche, ça me semble nécessaire maintenant... »


Mais l'infirmière fut interrompue par un cri de pure détresse dans le couloir, un hurlement désespéré. Suivie de près par le docteur, elle se rua hors de la pièce pour trouver Anne agenouillée à terre.

*****

- « Mamaaaaaan ! Je suis là maman, je suis là, je suis là ! Je t'aime maman, ne me laisse pas, j'ai peur tout seul dans le noir...
- Je suis là Bastien, je ne vais pas partir mon petit, mon tout petit... »

*****

Jocelyne se pencha sur la forme tremblante au sol. Ses yeux étaient grands ouverts, dans le vague, fixés sur rien du tout, comme si elle voyait quelque chose qui lui était inaccessible et qui semblait derrière l'infirmière. Celle ci se retourna machinalement, mais ne voyant rien, elle revint au corps à moitié adossé contre le mur.


Sa main trouva machinalement sa petite lampe dans la poche de sa blouse, et elle projeta le faisceau lumineux dans les globes oculaires de la patiente, espérant une réaction. Mais les pupilles de ceux ci semblaient décidément dilatés au maximum, comme si elles emplissaient tout l'iris...


Cependant ce n'était pas cela qui glaçait la grande femme aux nerfs d'aciers sur place : dans le noir profond se trouvait une ombre qui ne lui appartenait décidément pas et qui n'avait rien à faire ici.


Dans le regard chaviré d'Anne se trouvait un enfant, un garçonnet émacié qui semblait appeler à l'aide, et dont l'apparition étrange et monstrueuse faisait frissonner l'infirmière.
Jocelyne ne se retourna pas cette fois, elle ne voulait surtout pas voir cette créature humanoïde en face.


Cette vision de quelques secondes, des heures semblait-il, se brisa lorsqu'elle perdit le contact du regard de la patiente, alors qu'elle se sentait soudain bousculée. Elle ne put s'empêcher de pousser un léger glapissement de terreur avant de reconnaître le docteur qui se démenait pour donner à la jeune femme un tranquillisant, fusillant sa subordonnée du regard.

*****

Anne serra le petit garçon dans ses bras et ferma les yeux. Du sang, du sang sur ses jambes mais ce n'est qu'un détail, son enfant est avec elle, c'est tout ce qui compte, et on ne le lui prendra jamais.


Elle se sentit doucement sombrer, ses membres s'alourdissant tandis qu'elle accompagnait son unique trésor au royaume de Morphée.

*****

Un aide soignant transporta la forme amorphe d'Anne jusqu'à son lit. Cette dernière remua un peu alors qu'un courant d'air frais arrivait jusqu'à elle alors qu'ils passaient dans l'entrée, un dernier effort pour combattre l'anesthésiant. Son regard erra sur les lettres gravées sur le mur, désignant HP Saint Anne, avant de se révulser et de se refermer.

*****

Jocelyne entra dans le bureau du docteur, sachant pertinemment pourquoi elle avait été appelée.


Le docteur Nathan Frempovel, d'âge mûr et grisonnant, la regarda arriver du coin de l'œil, terminant de rédiger un compte rendu sur un patient.


- « Vous m'avez demandée monsieur ? »


Le docteur s'appuya contre le dossier de son siège, étudiant son interlocutrice qui se sentait soudain mal à l'aise, mais tentait de ne pas le montrer. Elle se sentait comme une patiente soudain face à lui...


- « Que vous est-il arrivé avec Anne, pourquoi avez vous hésité ? »


Le visage de Jocelyne était fermé, surtout, il ne fallait pas lui laisser voir ses sentiments et ses appréhensions.


- « Je ne sais pas pourquoi j'ai hésité, je ne m'attendais juste pas à... enfin à retrouver Anne dans cet état, je ne l'avais jamais vue aussi bas c'est tout. »


Nathan se pencha vers elle, posant ses coudes sur son bureau, comme s'il voulait lui faire une confidence.


- « Je crois que vous devriez prendre des vacances, Jocelyne, une sorte de congé pour vous retrouver, pour évacuer tout le stress que vous avez accumulé. Je pense que vous vous impliquez beaucoup trop dans cette affaire, il est temps de reprendre un peu de distance, qu'en dites-vous ?
- Je vais bien, c'est inutile, j'ai simplement été surprise, pas la peine de s'inquiéter outre mesure, ça ne se reproduira plus, je ne referais pas deux fois la même erreur. Puis-je y retourner ? »


Dans l'esprit de l'infirmière, il ne faisait aucun doute que le docteur en savait plus qu'elle n'en avait révélé, mais devant son hochement de tête, elle n'attendit rien de plus pour se rediriger vers la porte. Cependant la voix grave de l'homme s'éleva à nouveau.


- « Vous savez Jocelyne, lorsque l'on exerce des métiers comme les nôtres, il arrive parfois que l'on voie, ou plutôt que l'on croie voir des choses, des choses qui n'existent pas, des sortes d'hallucinations perturbantes, dues au fait de l'entourage très perturbé que l'on côtoie. Et dans de tels cas, il faut parfois prendre du recul pour mieux apprécier les événements, pour pouvoir plus facilement relativiser. »


Jocelyne se remémora le corps émacié et dérangeant du garçonnet.


- « J'ai vu Bastien. »


Sans se retourner, l'infirmière ouvrit la porte et sortit, sentant le regard songeur du médecin posé sur elle.

*****

Nathan Frempovel en avait vu des cas, des dépressions, des hallucinations collectives... Mais la dernière déclaration de la jeune femme le laissait sans réaction.
Encore une...

19 mai 2009

L'âme du diable : 13 décembre

13 Décembre

-« Olivier, il faut que tu viennes. »

Mon père semble bouleversé au téléphone. Il a quand même du culot de m’appeler dès le lendemain. Du coup je lui raccroche au nez, même si je suis décidé à y aller. Je dois parler à Holkes.

J’arrive un quart d’heure plus tard chez lui.

-« Aline… Ta mère…

-Quoi ? Qu’est ce qu’elle a fait ? Il y a eu mort d’homme ? Et ce n'est pas ma mère! »

Disons que je ne crois pas trop à sa Rédemption.

Mon père acquiesce en tremblant. Qu’est ce que je disais ! Ces gens là ne perdent jamais leur goût du crime. Mais au fond, je suis bouleversé, j'avais fini par croire qu'elle n'était plus la même, qu'elle avait fini par être quelqu'un de bien.

-« Qui est mort ? »

Lalie arrive à ce moment là.

-« Demande à Lélia, qu’il me répond en pleurant. »

Je ne l’avais jamais vu ainsi et s’en était bouleversant.

-« Qu’est ce que tu dois me demander ? »

Lalie, ou Lélia évidemment, semble aussi avoir beaucoup de chagrin, mais elle essaye de ne pas le montrer. C’est raté.

-« Que s’est-il passé ?

-Suis-moi ! »

Lélia me fait rentrer dans la maison.

-« Ton père a trouvé cela dans la boite aux lettres. Elle devait préparer son coup depuis longtemps. »

Préméditation, encore mieux !

Cher Eric,

Peut être ne comprendras-tu pas pourquoi j’ai fait ça. Ce n’est pas grave, pas important. Ne t’inquiète pas de mon sort, je l’ai mérité. Cette personne me suit depuis que je suis sortie. Je sais qu’il n’est pas policier et qu’il est là pour venger quelqu’un que j’ai peut-être tué. La prison n’a contenté personne, ce n'est pas une nouveauté.

Je t’aime comme je t’ai toujours aimé, depuis le premier jour et je pensais que peut être nous aurions pu vivre heureux à ma sortie de prison, mais je sais désormais ce que mon cœur tentait de me cacher : le bonheur ne sera jamais pour moi.

J’ai brisé beaucoup trop de familles, de cœurs et de vies alors de quel droit puis-je réclamer ce que j'ai tant arraché ?

Ne cherche pas à savoir qui va m’ôter mon existence, pense seulement que je suis bien là où je suis et que la paix s’empare enfin de moi. De toute façon, je m’arrangerais pour que cette personne ne laisse aucun indice. Ce n’est pas un vrai tueur et il s’en voudra sûrement d’avoir donné la mort. Je lui ai brisé sa vie et je lui donne la mienne.

Dis à Lélia que je la remercie pour tout ce qu’elle a fait pour moi, de sa loyauté qui pourtant n’avait pas lieu d’être.

Peut être qu’un jour, Olivier me pardonnera. Ce jour là, dis-lui que je l’ai toujours aimé et que je suis fière de lui. Dis-lui que je n’ai voulu que son bonheur. Je vous laisse tout ce que j’ai, c’est à dire quelques photos, babioles et souvenirs décrépis, je le sais. Brûle mon corps, c'est mon dernier souhait,je te confie mes cendres.

Adieu, mon amour, pour toujours. Lélia, toi et Olivier avez été ma seule famille. Je ne mérite pas d’avoir une famille.

Adieu,

Aline.

On l’a retrouvée deux balles dans l’abdomen, au bord du Rhône. On lui a tiré dessus alors qu’elle était dans l’eau, mais elle n’en est pas morte et elle a réussi à regagner le bord. C’est la qu’à eu lieu son agonie.

Il y a quelques jours, j’aurais dit que c’est la fin rêvée pour Aline Holkes. La France va enfin pouvoir dormir sur ses deux oreilles. Désormais, je me dis que j’ai perdu pour la deuxième fois ma mère et que je regrette de ne pas avoir pu la connaître plus encore. Pire encore, j'ai cette impression amère et terriblement dérangeante de l'avoir motivée dans ce suicide assisté. Elle cherchait ma compréhension, et je ne lui ai donné que mépris.

Indirectement, j'ai tué ma mère. Je n'ai pas su comprendre qu'elle était faible, qu'elle avait besoin de moi pour se maintenir en vie. Je l'ai laissée, je l'ai abandonnée, je n'ai pas su lui dire que je comprenais, même si j'avais alors du mal à comprendre. Je n'ai pas su être la personne qu'elle attendait que je sois.

J'ai pu apprendre que son comportement avait été exemplaire et qu’elle avait fait des miracles dans la prison ou elle avait été incarcérée, que la plupart des personnes qu’elle a touché n’ont pas récidivé à leur sortie.

J'ai voulu faire du mal à un monstre, renier un monstre, et j'en ai tué un ange, une pauvre âme torturée qui ne cherchait que la paix. J'allais devoir vivre avec ça. J'avais tué celle que je n'avais jamais connu, mais que j'aimais par deçà les histoires que l'on me racontait. Si elles étaient fausses, son amour n'était pas moins vrai.

On l’a brûlée deux jours plus tard. Son visage désormais serein à disparu à jamais. Mon père m’a donné quelques photographies d’elle. Je n'ai pas osé dire que son visage me hante assez pour que je ne puisse de toute façon pas l'oublier.

Ma fille s’appelle Alice. Puisse t - elle vivre au pays des merveilles, car c'est tout ce que je peux faire pour lui rendre hommage... Ça et raconter au monde qui était Aline Holkes. J’ai tout dit à Céline et elle m’a comprise.

J’ai enfin trouvé quelqu’un qui a accepté d’écrire cette histoire sous son nom. Ma famille n’en subira pas les conséquences. Elle habite quelque part près de Lyon, à 10 kilomètres de chez mon père.

19 mai 2009

Un secret

Vision d'une silhouette étrange,
Céleste créature à gueule d'ange,
Gabriel qui joue dans la fange,
Que de loin l'œil avide mange.

Seule au milieu de la mêlée,
Figure droite et jamais troublée,
Elle est perdue telle une pensée,
Ne se laissant pas pénétrer.

L'air souffle mais ne dit point son nom,
Joue de ses cheveux châtains-blonds,
Quand le cœur a sauté d'un bond,
Belle classe et haute distinction.

Mais voilà tête dans les nuages,
Éclaircie au bord de l'orage,
Sourire qui crie un beau présage,
Image brillante de perle sans âge.

Mais cette présence tant attendue,
Loin des yeux alors disparut,
Peut-être est-ce à jamais perdu,
Seul regret de n'y avoir cru.

15 mai 2009

L'âme du diable : 12 décembre

12 Décembre

Céline a bien voulu, des amies à elle devaient venir à la maison, sinon, elle m’aurait bien accompagnée. Elle aurait vraiment voulu rencontrer tante Lalie, depuis le temps que je lui en parle. J’ai donc pédalé les deux bornes qui séparait nos maisons. Ils m’attendaient.

-« Tante Lalie, mais où donc avais-tu pu passer pendant toutes ces années !

-Toi aussi tu m’as manqué… Olivier. Je ne peux plus t’appeler poussin maintenant ! Mais c’est la faute de ton père, il ne m’invitait jamais !

-Oh, dis, ça y est, tout de suite, c’est de ma faute. »

Pauvre Lalie, elle a bien vieilli. Je m’attendais à revoir la belle femme blonde qui avait suivi mon enfance. Je crois bien que j'étais amoureux d'elle... Maintenant, elle est blanche. Bronzée sous des cheveux blancs. Mais enfin, c’est elle.

Mme A sort de la maison à ce moment là et tend sa main que je serre. Elle semble utiliser un petit sourire de façade que je n’aime pas du tout. Lalie et elle semblent bien se connaître et je me sens bientôt à l’écart de la conversation.

-« Assez de retrouvailles. Mon fils va bientôt devoir retrouver sa douce Céline et il veut connaître la fin de l’histoire qu’on lui a promis. Ma très chère amie, à vous l’honneur.

-Allons, Denis, vous connaissez cette partie de l’histoire aussi bien que moi. Ce moment dont peu de gens peuvent se vanter d’en avoir entendu parler. J’en ai assez de parler d’Aline Holkes.

-Bien. Je vais m’improviser narrateur. D’après ce que vous m’avez dit, vous en étiez resté à mon passage préféré. »

Je ne cherche même plus à essayer de comprendre ce qui se passe entre mon père et madame A. En un regard, ils semblent se dire tellement de choses contradictoires que s’en est pénible à déchiffrer.

-« Récapitulons. Aline est en prison et Eric vient la voir. C’est vraiment con comme dénouement quand même ! Il sent que cette chère jeune femme cache quelque chose. Il se doute aussi que c’est rudement important. Elle veut tout lui avouer, mais elle tourne autour du pot en lui sortant un truc dans ce genre : ‘’je n’étais pas seule à m’être réfugiée chez les sœurs’’. Eric se met à imaginer tout et rien parce qu’il ne voit pas bien quelle pourrait être cette deuxième personne. Alors elle lâche tout : ‘’j’étais enceinte’’. »

Je crois que mon choc est le même que celui de ce pauvre Eric à ce moment là. Enfin... l'horreur en moins d'avoir donné un gosse à un monstre je suppose ! Je me mis une gifle mentale, c'était juste méchant, après tout, Mme A avait tant fait pour l'humaniser, que je ne pouvais juste plus l'imaginer que comme une bête sanguinaire assoiffée de mort. Première surprise passée, je regarde autour de moi. Madame A me regarde par en dessous, mon père me dévisage comme s’il ne m’avait jamais vu et Lalie est confortablement installée et savoure la beauté du plafond, qui au passage doit être refait dans trois semaines. Ils attendent l’effet que va me faire cette révélation si peu connue, en effet. Comme je n’ai pas l’intention de laisser montrer mon avis sur la question, mon père continue.

-« Cette chère Aline à peur de ce que va dire son ami et je pense que c’est pour ça qu’elle se met à parler à tort et à travers : il faut qu’il aille chercher l’enfant, s’il ne le fait pas elle s’échappera de la prison dès le soir même, cet enfant est de lui et il est à la charge des sœurs qui s’il n’était pas réclamé d’ici la fin du mois irait dans une pension, qu’elle était désolée de tout ça, que de toute façon elle n’aurait pas pu avorter et que s’il ne voulait pas se charger de l’enfant, elle le ferait et lui serait tranquille, il n’entendra plus jamais parler d’eux. L’effet de surprise à réussi, Eric a tout promis sans savoir ce qu’il faisait, et avant même d’avoir compris quoi que ce soit, il s’est retrouvé dans le couvant. Pauvres bonnes sœurs ! Elles n’ont jamais rien demandé et se sont retrouvées cachant une tueuse à gage pendant presqu’un an et un bébé un an de plus. Elles étaient assez contentes en remettant le petit. »

Mais comment ?… est la première question qui me vint à l’esprit, et encore, elle est incompréhensible.

-« Mais comment est-il possible que personne n’en ait jamais parlé ? Comment un tel secret à t - il put échapper aux journalistes ! Et qui est cet enfant. »

Vous avez sûrement tout saisi, mais quelque chose en moi ne veux pas y croire. Je ne comprends donc rien, même si au fond de moi je pressens la vérité. Personne ne me répond. C’est Lalie qui prend donc la suite.

-« Finalement, heureusement que je suis venue. Vous n’allez jamais jusqu’au bout des choses.

Eric Etienne a changé de nom, ainsi que l’enfant. Ils ont fait ça dans le secret mais tout à fait légalement. Officiellement, ils sont devenus (là, je fais tout pour ne pas comprendre en espérant que je me trompe encore) Denis et Olivier Landers. »

Je vais vous étonner, ça ne m’affecte pas du tout… sur le coup. Et puis, je sens un courant glacé m’envahir. Je suis tétanisé, comme congelé. J’essaye de crier, mais ça reste coincé au fond de ma gorge. Ca se débloque soudain.

-« Arrête ! Non ! C’est impossible ! »

Je recule contre le mur. Il me semble d’un seul coup que ces trois visages me sont complètement étrangers. Madame A, Holkes, se lève soudain :

-« Je ne t’ai pas élevé. Si tu veux, je ne suis pas ta mère. Je suis désolée. »

Elle part en courant. Mon père semble perdu et Lalie s’approche de moi.

-« Olivier, calme-toi. Viens t’asseoir, je t’amène un verre d’eau. »

Elle va à la cuisine et ramène trois verres pleins d’eau. Je prends le mien et bois en en renversant la moitié. Si quelqu’un pouvait prétendre être ma mère, ce serait elle. Elle s’est toujours occupée de moi lorsque j’étais petit.

-« Pourquoi était-tu partie, à propos ?

-Tu posais trop de questions, sur ta mère. C’était trop tôt pour tout te révéler. J’avais peur de tout raconter. En plus, tu n’avais plus vraiment besoin de moi. »

Évidement.

-« Tout était bidon. J’étais un beau pigeon ! Et dire que je ne parlais jamais d’elle pour ne pas te faire de peine, papa. Tu disais que même ses photos te faisaient trop souffrir et que c’est pour cela qu’il n’y en avait jamais à la maison. C’était gros, quand même, mais je te faisais trop confiance pour mettre quoi que ce soit en doute. Pourquoi ne m’avoir pas tout dit tout de suite ?

-Mais pour te protéger ! Imagine que tu aies laissé échapper ça à l’école. La rumeur aurait atteint une mauvaise oreille en deux jours. Et Aline disait qu’un enfant ne devait jamais avoir à mépriser ses parents, sans quoi il méprisera tout le monde. Elle en était la preuve vivante. Elle voulait que ta vie soit semblable le plus possible à celle des autres.

-Parce que tu trouves que ma vie ressemblait à celle de tout le monde ! Vous m’avez volé trente ans de ma vie, vous m’avez volé mon identité !

-Ne t’es-tu pas amusé dans toute ta vie ? Qu’aurais-tu fais de plus si tu avais su plus tôt qui était ta mère ? Tu te serais enfermé dans une bulle afin que personne ne connaisse ton secret et tu ne te serais jamais épanoui ou alors tu l’aurais crié crâneusement sur tous les toits pour que l’on te craigne. La vérité aurait pu te détruire l’esprit. Mais aujourd’hui, tu as une vie déjà établie. Tu es marié et tu vas avoir un deuxième enfant. Ne suis-je pas dans le vrai en pensant qu’il y a quand même moins de chances que tu fasses des conneries que lorsque tu te cherchais encore ! Au début, Aline pensait qu’il valait mieux que tu ne saches jamais rien, mais lorsqu’elle est sortie de prison, l’envie de te connaître l’a emporté. Ce n’est pas parce qu’elle ne t’a pas vu pendant trente ans, qu’elle t’a oublié ou que son amour pour toi s’est envolé. Chaque fois que j’allais la voir, elle demandait des nouvelles de toi et tiens ! Viens voir sa chambre ! »

Je le suis. J’entre dans la chambre d’amis où elle a mis ses affaires.

-« Vous ne dormez pas ensemble ? »

Mon père se retourne brusquement.

-« Non. Elle n’est pas encore prête. Elle n’était pas sûre de rester à Lyon. Elle se demandait s’il ne valait pas mieux pour elle de disparaître. Après ce soir, je pense qu’elle va partir. »

De partout autour de moi, il y a des photos, de moi, de moi et mes amis, de moi et ma famille, mon mariage, la naissance de Damien, des photos de Lalie et moi. Dans cette chambre, il y a toute ma vie. C’est incroyable. J’ai l’impression d’être dans l’antre d’un psychopathe. Je sors rapidement. Je sors de la chambre, je sors de la maison, je sors du jardin. Je rentre à Lyon, je rentre chez moi, on ne m’en empêche pas. J’ai grillé un feu rouge par inadvertance. J’entre dans mon appartement, au deuxième étage. Céline est là. Elle, au moins, ne m’a jamais menti.

Je la serre très fort. Son corps gonflé est tout chaud. Elle dormait, tant pis !

-« Mmmh ! Comment allait ton père ? »

Pour toute réponse je la serre encore plus fort.

-« Ca s’est bien passé ? Qu’est ce que tu as ?

-Papa, tu peux m’aider à faire mes devoirs ! »

Sauvé par le SOS.

-« Je vais voir Damien. »

Céline est la crème des femmes. Elle n’insiste jamais trop. Peut être parce qu’elle sait qu’elle obtient toujours les informations demandées, tôt ou tard. J’aimerais bien me cacher moi aussi dans quelque église pour faire le point sur moi-même ! Mais moi, mon havre de paix, c’est ici.

13 mai 2009

L'âme du diable : 11 décembre

Et me revoilà, avec une très longue absence, pour finir cette histoire, il serait temps...

11 Décembre

Ayant du décommander mon rendez vous pour m'occuper de ma petite femme alitée pour son plus grand plaisir, j'en suis sûr, je ne retrouve Mme A que deux jours plus tard.

Celle ci semble fatiguée et un peu abattue, mais en m'approchant je sens son œil vif me transpercer tandis qu'elle m'affuble d'un grand sourire.

J'évite de m'épancher sur ma journée d'hier pour la laisser raconter la suite, que je puisse m'intéresser à des recherches complémentaires et plus neutres sur le sujet.

Lélia et Eric n’entendirent plus parler d’elle pendant dix longs mois. Le jeune homme avait réintégré sa section deux jours après qu’Aline ait quitté son appartement, laissant sur place les cassettes pour faire tomber les mafioso et les deux lettres. Lui s’était réveillé deux heures plus tard, seul, au centre de son salon.

Après cet épisode, Eric rechercha Aline en vain, N’ayant pas perdu certaines habitudes, elle ne lui avait laissé aucune piste.

D’autres affaires lui avaient été données, et sans oublier la première, il reporta sa hargne sur celles-ci. Il avait cependant gardé Lélia en contact, au cas où elle trouverait quelque chose ou qu’un endroit où Aline pourrait être lui revienne à l’esprit. Il n'y croyait pas trop, mais elle était la personne qui avait été longtemps la plus proche de la meurtrière.

Un jour qu’il était de meilleure humeur et qu’il rentrait chez lui, dans sa maison vers Lyon, il retrouva la porte ouverte. Il se précipita à l’intérieur.

-« Aline ? »

Il la trouva les yeux pleins de sommeil dans son salon.

-« Je rêvais. C’était si beau. J’étais de nouveau enfant et mes parents venaient de m’offrir un chien pour mon anniversaire. J’arrivais presque à voir leurs visages. »

Eric traversa la salle et la gifla, tout tremblant, puis il se laissa tomber sur un fauteuil pour reprendre ses esprits.

Aline, surprise par le choc, garda sa tête détournée de lui. Chacun attendit une réaction de l’autre. Ce fut Eric qui brisa le silence.

-« Je suis désolé.

-Il ne le faut pas, je l’ai méritée.

-Tu n’aurais pas dû venir. Tu m’as manqué.

-Toi aussi. Je t’avais promis que je reviendrais dans la lettre.

-Repars, je ne peux pas faire ça.

-Il le faut, Eric. Tu dois m’emmener.

-Pourquoi en sommes nous là.

-C’est de ma faute, je m’en veux… Mais mes morts réclament leur vengeance, et je la leur dois. J’ai besoin de ta force, Eric, sinon je n’aurais jamais le courage. Et il est grandement temps.

-Tu as raison »

Eric se redressa. Jamais il n’avait entendu une voix aussi douce sortant de sa bouche.

-« Je suis l’assassin et tu es le policier. Eric et Aline ne doivent pas influencer Holkes et l’inspecteur Etienne.

-Oui.

-Mets moi les menottes.

-Oui… Non !

-Eric…

-Je les ai oubliés. »

Aline n’en crut rien mais n’en dit pas plus. Elle se souvenait de ce qui était arrivé à Lestat et ne tenait pas tant que ça à se voir mettre ces détestables bracelets de fer... Et puis s'il y a bien une chose qu'elle a toujours détesté, c'est l'impuissance, être à la merci de quelqu'un. Elle n'avait été que trop longtemps à la merci de son père.

-« On va au commissariat tout de suite ?

-Oui.

-Alors suis-moi. »

Eric montra à Aline sa voiture, mais elle n’y fit point attention. Tous deux embarquèrent pour le plus dur voyage de leur vie.

-« Que sont devenus Cioran et Lestat.

-Prison.

-…

-Tu sais que tu risques d’en prendre pour encore plus longtemps qu’eux !

-Oui. Eric ?

-Oui ?

-Non, rien. Je… Je suis contente que tu sois là. Tu viendras me voir ?… De temps en temps ?

-Je t’en fais la promesse. C’est quoi sous ton pull ?

-Une croix.

-T’es chrétienne ? Je ne savais pas !

-Non. C’est pour remplacer mon revolver.

-Une arme ? !

-Non, un grigri pour me donner du courage. C’est des sœurs qui m’ont accueillie.

-Je ne risquais pas de te retrouver ! T’étais où ? »

Aline ne répondit pas. Elle posa sa main sur le bras d’Eric qui fut surpris de tant de douceur. Elle avait toujours été un peu brutale et vive. Il arriva à sentir son pouls. Ses battements étaient réguliers, mais il pouvait voir sur son visage que quelque chose l’embêtait.

Il n’osa rien dire.

Au fur et à mesure qu’ils arrivaient au commissariat, la tension montait, mais le cœur d’Aline battait toujours aussi lentement. Ils le virent bientôt apparaître, assez grand, avec son toit rouge. Aline serra le bras de son compagnon et ferma les yeux. Eric prit sa tête entre ses deux mains et la força à le regarder.

-« Aline, tu ne dois pas renoncer maintenant. Il faut y aller. Je comprends maintenant à quel point tu en as besoin. M’aimes-tu ?

-Oui…

-Pour que je puisse t’aimer, il faut que tu viennes. Après, nous serons libres, tu entends, libres de nous aimer, mais là, tu n’es qu’une fugitive, et sur cette voie, je ne pourrais pas te suivre, c’est contraire à tous mes idéaux.

-Mes idéaux à moi ont disparus. Et je ne serais jamais libre, mais ce que j’ai commencé, je dois le terminer. Quand bien même je pourrais bien ne jamais sortir de cette prison. Tu aurais dû me mettre les menottes. »

Eric en sortit une paire de la boite à gants. Aline eut mal, mais désormais, on agirait à sa place. Elle pourrait se reposer sur ces bracelets de fer.

-« Normalement, tu devais me les attacher dans le dos. »

Elle sortit de la voiture et se tint debout devant, face au grand bâtiment, à l’observer. Eric la rejoint :

-« Viens. »

Elle le suivit.

-« Le procès eut lieu un mois plus tard, et comme vous le savez surement, Aline écopa de la perpétuité, prison ferme, avec une peine irréductible de 30 ans.

-Et cela provoqua un des plus grands débats sur la peine de mort en France. Nombreux étaient ceux qui voulaient sa tête pour tous ses crimes.

-Ses crimes, et bien d’autres encore qu’elle n’avait pas commis. Personne ne sait aujourd’hui qui sont toutes ses véritables victimes. Même elle, surtout elle, l'ignore. »

J’ai presque envie de dire que de toute façon, les meurtres qu’on lui avait rajoutés compensaient sûrement ceux qu’on lui avait oubliés, mais je me retient. C’est peut-être une parole déplacée et je n’ai pas de preuves de ce que j’avance.

-« Eric a tenu sa promesse pendant toutes ces années, il est allé la voir assez fréquemment, mais Aline ressemblait dans sa prison à une bête traquée. Elle lui cachait encore quelque chose. Elle finit enfin par cracher le morceau, au bout de quelques jours…

-Quel morceau ?

-Je… Je suis vraiment désolée mon garçon, mais… Un rendez-vous, j’avais oublié ».

Elle porte la main à son cou et part en courant. Avant que l’idée de lui proposer de la ramener en voiture me vienne à l’esprit, elle a disparue.

Je m’en vais aussi, puisque je n’ai rien d’autre à faire.

Céline est à la maison. Evidemment, elle ne peut plus beaucoup bouger vu son état.

-« Fait attention, Olivier, je pourrais devenir jalouse de cette femme.

-Allons, elle pourrait être ma mère !

-Je sais. Viens m’embrasser. »

Il y a des choses, comme ça, vous voyez, qui ne peuvent pas attendre. Céline et moi, on s’est rencontré en boite de nuit. Elle avait trop bu et j’avais trop fumé. J’avais 19 ans et elle 18. Nous avons arrêté nos bêtises, je le jure. Quand j’y repense, on est bête à cet âge là. Après cette première approche assez ‘’stupéfiante’’, dans les deux sens du terme, on s’est perdu de vue un an, et, le monde est petit, mon meilleur ami me l’a présentée comme étant la cousine de son copain, qu’il a d’ailleurs quitté quelques mois après. Mais Céline et moi, par contre, on est toujours resté ensemble.

-« Alors, tu seras bientôt le spécialiste des démons en tout genre ?

-Mieux que ça ! Je serais le spécialiste du diable ! La véritable question est est-ce que le diable a une âme ? Et s’il l’a perdue, peut-il la retrouver ?

-Ta philosophie me donne la migraine, et Damien t’attend à l’école. Alors oublie le diable et va chercher le petit ange ! »

Je l’embrasse à nouveau et m’en vais chercher ce cher petit brun qui partage mon sang.

Lorsque je rentre, le téléphone se met à sonner. Je décroche en passant.

-« Olivier ?

-Lui-même, Denis.

-Demain après midi, tu pourrais venir me voir ?

-C’est à dire que Mme A n’a pas fini son récit…

-Justement, elle sera là, ainsi que Lalie qui est venue faire un tour à Lyon.

-Elle aurait dû passer à la maison ! Gronde là pour moi, papa ! Enfin, je serais là demain, si Céline le veut bien. »

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