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Gaya sur sa lune
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13 octobre 2008

Le roi de Mycènes : Epilogue

Et voici enfin la dernière partie de l'histoire, qui mélange vie et mort, espoir et désespoir...

Attention, il est mention de cris, de sang, d'épée, de larmes, d'amour... (bref, de quoi faire un film!)

Âmes sensibles, s'abstenir, lol

 

Je les présente.


-« Neaira, ma compagne ; Ismène, ma mère. »


Celle-ci s’étonne de me voir en ménage.


-« Vous ne m’aviez pas tout raconté pendant le voyage, à ce que je vois, mon cher ami ! Et cet enfant est de toi, mon fils ?

-Si on veut, plus ou moins. »


Comme elle ne voit pas ce que je veux dire et fronce déjà les sourcils, je lui donne d’autres explications.


-« Non, mais son père sera moi, à défaut de l’autre. »


Elle acquiesce sans dire un mot, mais je vois bien dans son attitude qu’elle est contre ce bébé illégitime et contre mon union avec Neaira. Comme si c’était de leur faute, à tous les deux ! Je coupe court à sa déception :


-« Mangeons maintenant, et Stavros nous racontera ses démarches. Je suis sûr qu’il a dû faire montre de persuasion ! »


Neaira avait préparé un gros lièvre aux herbes. Cela devrait suffire, même pour quatre.


-« Et alors, ce voyage ! Raconte donc ! »


Stavros semble embêté. Ma mère pose une main sur son bras en signe d’encouragement.


-« Dites-lui tout, Stavros, ou c’est moi qui le ferai ! »


L’homme inspire un grand coup avant de se jeter à l’eau.


-« Voilà, Ismène vivait avec mon frère et ma sœur, qui sont jeunes encore, cela pour la bonne raison que Stavros Onopiris est mon nom complet. Mais ça n’a pas l’air de t’étonner ?

-Je le savais déjà !

-Comment ? Pourquoi n’as-tu rien dit ?

-Parce que je ne le lui ai dit que le lendemain de votre départ et qu’il avait envie de savoir jusqu’à quand vous continueriez à lui mentir. N’ai-je pas raison Achilloüs ? »


Stavros sourit. Moi je me félicite de la perspicacité de ma femme.


-« Je n’avais pas pensé à toi, je dois l’avouer !

-Moi, ce que je ne comprends toujours pas, c’est pourquoi tu ne m’as rien dit auparavant ! Et si j’étais mort à Mycènes, je n’aurais jamais rien su de la vérité !

-N’oublie pas qu’à ce moment là, j’ignorais qu’elle était ta mère. Je suppose qu’il n’y avait pas que ta famille dans ton village. La coïncidence était trop forte pour que je l’envisage seulement ! Et je crois que c’était mieux ainsi, tu n’étais pas encore assez mûr pour comprendre et pardonner. Ta vision du monde n’était pas assez réfléchie, tu ne m’aurais pas fait confiance et peut-être même aurais-je reçu une flèche en travers de la gorge ! Il y avait trop de haine en toi et tu l’aurais immédiatement déversée sur moi. Mes révélations auraient aussi pu te faire l’effet inverse : tu m’aurais peut-être confié ta mère et tu aurais accompli ta revanche sans peur de mourir au combat. Ensuite, lorsque tu m’as dit avoir appris que celui qui détenait ta mère était Onopiris, j’ai tout compris et je voulais te dire la vérité, mais j’ai eu un peu peur, je dois l’avouer, en t’entendant parler de lui. Je n’ai jamais pu te faire entendre raison. J’ai donc préféré cette solution là, qui, finalement, était quand même la plus simple. »


Il n’a pas tord. Je veux bien croire à nouveau que cet homme est bon.


-« De toute manière, ce qui est fait est fait et la terre est toujours là, alors soyons heureux que ces moments d’incertitudes appartiennent au passé. »


C’est moi qui sers le repas car j’ai interdit à Neaira de bouger. La naissance est pour bientôt, elle pourrait survenir d’un moment à l’autre.


A la fin, comme elle est fatiguée, je l’accompagne jusqu’à son lit. Avant que je sois reparti, elle me souffle :


-« Je crois que ta mère ne m’aime pas beaucoup, en tout cas elle ne m'a pas reconnue.


-C’est normal, lorsque tu l’avais vue pour la dernière fois, c’était il y a quatre ans et elle était en plein deuil ! Et ce n’est pas toi qu’elle n’aime pas, c’est l’enfant que tu portes qu’elle ne voit pas d’un très bon œil. Elle ne sait rien de toi et de nous alors elle se méfie, c’est le rôle d’un mère. Dors maintenant. »


Je m’apprête à sortir rejoindre les deux autres restés dehors.


-« Achilloüs ?

-Quoi encore ?

-Tu voudrais quoi comme enfant ?

-Comment ça ?

-Une fille ou un garçon ?

-Une fille !

-Pourquoi ?

-Pour qu’elle te ressemble évidemment… et aussi pour que ton premier fils soit de moi !

-Celui-là n’est même pas encore né que tu veux déjà que j’en fasse un autre !

-Pardonne-moi…

-Ne demande pas pardon pour tout ce que tu dis. Pour la fille, je ferai ce que je peux ! File mon amour, on t’attend dehors avec impatience. »


Je l’embrasse et je sors. Elle fera ce qu’elle peut, mais que peut-elle face à la volonté des dieux ? Enfin, c’est elle qui va enfanter, peut-être que les femmes ont des trucs pour décider du sexe de leurs petits ! Mais j’en doute, leurs hommes ne voudraient que des héritiers !


-« Il va falloir que tu m’expliques certaines choses au sujet de cette fille et surtout de cet enfant ! Stavros ne veut rien me dire !

-Tout d’abord, cette femme s’appelle Neaira ! »


Je commence à m’échauffer et ma mère s’en aperçoit. Je dois me calmer. Après plus de tant d’années de séparation, il serait bête de la faire repartir en nous disputant dès le premier soir !


-« C’est la fille d’un marchand, mais tout laisse croire qu’il est mort. Ils ont été attaqués par des brigands et elle a été enlevée. Son père a disparu depuis ce jour. Elle a ensuite été vendue à quelqu’un que tu as connu : le prince Iorlas de Mycènes.

-Je vois. »


Ma mère laisse apparaître un spasme de souffrance et de dégoût qui défigure son visage. Ses yeux se promènent dans le vide et s’arrêtent d’un coup sur moi. Je continue :


-« C’est là que je l’ai retrouvée et que je l’ai enlevée, mais elle portait déjà son enfant.

-Et… Iorlas ?

-Mort.

-Tu l’as tué ? »


Sera-t-elle déçue de la réponse ? C’est vrai que mon bras avait été tout sauf vengeur !


-« Non, on m’en a empêché.

-C’est peut-être mieux ainsi. »


Dans le fond, on peut voir sur son visage une pointe de déception qui disparaît vite laissant place à un sourire.


-« Si tu l’avais fait, peut-être ne nous serions nous jamais revus. Mon seul regret est de ne pas t’avoir vu grandir. D’ailleurs, je ne comprends pas comment tu as réussi à survivre. Les dieux t’auraient-ils eux-mêmes recueillis ? »


Je lui raconte l’épisode avec mon grand-père. J’ai l’impression que ma mère, tout en étant restée la même, est à la fois bien différente… Ou peut-être est-ce moi ? J’ai l’impression qu’elle me regarde comme un étranger, comme si elle essayait de saisir tout tous mes mouvements pour mieux apprendre à me connaître. Il y a pire encore, je me surprends à faire la même chose à son intention. Je cherche à retrouver en elle celle dont j’ai tout oublié. En même temps j’ai très envie de me réfugier dans ses bras, comme lorsque j’étais petit, mais je n’ose pas. Peut-être est-ce à cause de la présence de Stavros, mais je crois surtout qu’il nous faut tout simplement d’abord réapprendre à se connaître, avant de pouvoir reformer le lien filial fort qui nous unissait. En tout cas, je n’avais jamais imaginé que nos retrouvailles seraient aussi difficiles. Rien ne sera plus jamais comme avant, parce que j’ai grandi, parce que l’on a tous les deux changé, mais surtout parce que quelque chose s’est brisé le jour de notre séparation. C’est comme si, en quelque sorte, je me méfiais d’elle, comme si je lui reprochais tout ce qui m’était arrivé. C’est comme cette forêt, elle fait resurgir dans ma tête tant de mauvais souvenirs et pourtant je m’y sens chez moi et à l’aise !



Voilà quatre nouvelles lunes que ma mère est là. On a bâti une deuxième cabane où elle habite, ainsi que Stavros. Nos relations sont bonnes, mais mes craintes étaient justifiées : ce n’est plus du tout comme avant l’attaque. J’essaie pourtant de me rapprocher d’elle, mais mon cœur s’éloigne lorsque j’avance. Cela n’empêche pas qu’une très bonne entente règne entre nous. Neaira et Ismène sont même devenues de très bonnes amies, je soupçonne même ma mère de raconter des choses à ma compagne très compromettantes sur moi, mais enfin… L’essentiel est que tout ce passe bien !


Le plus embêté dans cette histoire est Stavros. Je crois que les routes lui manquent. On a réussi à ramener ses biens vers notre camp et souvent il regarde ses bêtes mélancoliquement. Cependant lui aussi reste pour attendre la naissance. Ensuite, lui et ma mère repartiront de leur côté. Cela me fait toujours étrange de penser que le marchand a sûrement pris la place de mon père dans le cœur de ma mère. Peut-être même que je leur en veux un peu…


Je vais me coucher, comme tous les soirs. Ni la lune ni les étoiles se sont au rendez-vous : de gros nuages les cachent tels une menace planant. Cependant après tous ces jours sans pluie, une nuit un peu orageuse serait la bienvenue, tant que les éclairs ne viennent pas jusqu’à nous !


Neaira dort déjà, son ventre rond sur elle. Je rejoins le sommeil en admirant pour la dernière fois de la journée les courbes de son corps. Cette vue me réchauffe plus que le soleil ne le pourrait, excite plus que le bonheur et stimule l’envie de vivre. Pour la voir encore et encore, je me ferais esclave, je gravirais les plus hautes montagnes, je plongerais dans la mer la plus profonde : je serais prêt à faire ou à tenter l’impossible !


Et cet enfant, dans son ventre, bien au chaud… Comme j’aimerais être à sa place ! S’il savait sa chance, il n’en sortirait jamais ! D’ailleurs, peut-être le sait-il et que c’est la raison pour laquelle il tarde tant !


Je suis réveillé soudain par un cri. Neaira s’est assise sur le lit et je sens un liquide chaud contre ma jambe. Neaira respire par saccades. Que faire ? Je me précipite à côté :


-« A l’aide, Neaira se sent mal ! »


Ismène et Stavros avaient eux aussi été réveillé par le cri. Ma mère accourt vers la jeune fille tandis que Stavros reste au pas de la porte.


-« Elle va accoucher ! diagnostique-t-elle. Achilloüs, va prendre un morceau de bois très dur mais pas trop gros puis va chercher une vasque d’eau et un chiffon. ».


Je ramène d’abord le morceau de bois. Ma mère le prend et le met dans la bouche de Neaira.


-« Tu serres les dents dessus à chaque fois que tu as une contraction. »


Elle acquiesce, inquiète. J’attrape un pot de terre cuite, coure jusqu'à la source et le rempli. Je le ramène. Dès que je l’ai posé, je dégaine le glaive de Dallès Nellendée accroché avec l’armure sur le mur et coupe un morceau du bas de ma tunique. Ma mère le prend et le jette dans l’eau.


-« Tu la tamponneras de temps en temps. »


Tout se calme alors, comme si tout cela n’avait été qu’une fausse alerte. Le répit dure presque une heure. Neaira a gardé le morceau de bois dans la bouche et le mordille, tandis que ma mère lui donne des conseils et des paroles rassurantes au creux de son oreille. Dans ses yeux, je lis lisiblement qu’elle a peur. Moi je lui tiens la main et la tamponne délicatement pour lui signifier ma présence à ses côtés. Le bois soudain étouffe un nouveau cri et sa main s’agrippe à la mienne et la serre très fort.


-« Sortez, Stavros, les hommes n’ont rien à faire dans un instant pareil ! Achilloüs restera là au cas où j’aurais besoin d’aide. »


Je crois que ma mère a surtout dit ça pour que Neaira se sente un peu moins observée. En tout cas, le vieil homme obéit, il n’a pas l’air de tenir vraiment à rester. Ismène montre ensuite à Neaira comment elle doit respirer et bientôt nous sommes trois à avoir une respiration saccadée.


-« Pousse de toutes tes forces, ma fille. »


C’est un horrible spectacle que de voir ma bien-aimée crier, pleurer et pousser sans résultats. Ses larmes se confondent avec sa transpiration. Je ne peux plus la regarder souffrir, je ferme les yeux et je prie pour que sa délivrance arrive vite. Au bout d’une heure, peut-être plus, ma mère, qui jette un coup d’œil sous la tunique de Neaira, annonce enfin :


-« Je vois la tête ! »


Neaira ne crie plus, ne pleure plus. Elle concentre tout ce qui reste de ses forces à pousser, à éjecter le petit corps.


-« C’est un garçon ! Amène ton glaive, Achilloüs ! »


Je lui tends l’arme et elle coupe la corde qui sort du nombril de l’enfant. Elle me rend l’arme que je range. Elle s’occupe de laver le bébé plein de sang avec le chiffon et l’eau que je lui ai donnés pendant que le petit s’époumone. Pas discret, cette boule rose ! Je m’agenouille devant Neaira. Elle continue à perdre du sang. Je me retourne vers ma mère.


-« C’est normal ? »


Elle ne me répond pas et va vers ma bien-aimée, l’enfant dans les bras qui s’égosille toujours.


-« Embrasse-le, c’est ton fils. »


Elle lui place la petite tête devant le visage. La jeune mère l’embrasse sur le front. Ma mère repart alors, me laissant seul avec elle. Sa voix n’est plus qu’un souffle :


-« Je suis désolée…

-De quoi ? »


Elle reprend sa respiration longtemps avant de continuer.


-« Pas… une fille… »


Je lui souris.


-« Ce n’est pas grave ! »


Elle porte dans un dernier effort ma main à sa bouche et y dépose un baiser.


-« Je t’aime Achilloüs… Je n’ai… jamais… aimé… un autre… que toi… »


Sa tête retombe sur le côté et sa main glisse de la mienne. Je reste figé sur place, le temps de comprendre la situation. Je ressens un grand vide en moi, me sentant coupable d’avoir laissé tomber sa main. Alors je crie mon désespoir dans un « non » à glacer le sang. Ce cri déchire le ciel et réveille le petit qui venait juste de s’endormir, mais je n’y fais pas attention. Je pleure. Ma tête me tourne, ma poitrine me brûle, mes mains transpirent. Je l’embrasse sur le front.


-« Moi aussi je… t’aimais. Neaira je… n’aimerai que toi. »


Mes paroles sont coupées par un hoquet. Je sors en courant. J’entends à peine le petit brailler, Stavros me dire de revenir et ma mère lui demander de me laisser. Je cours sans chercher à savoir où je vais dans la forêt. Mes yeux sont aveuglés par mes larmes. Mes oreilles sont encombrées par un bourdonnement sourd. Je trébuche deux ou trois fois mais me relève aussitôt, j’évite les arbres en appuyant mes mains sur les troncs. J’ai envie de vomir… Mes pas me conduisent dans le vieux village en ruines. Là, je m’effondre au pied du jeune arbuste qui a poussé au centre. Je le reconnais enfin : c’est un olivier. Pourquoi ? Pourquoi elle ?


-« POURQUOI ? Pourquoi me l’avez prise ? Pourquoi me laisses-tu seul ? Tu devais vivre pour moi ! Pourquoi m’abandonnes-tu ? Pourquoi brises-tu le bonheur qui nous unissait ? Que fais-tu de mon amour ? Non, toi aussi tu m’aimais ! Tu ne voulais pas partir, n’est-ce pas ? Non, tu ne le voulais pas ! On t’y a forcé ! »


C’est de la faute de Iorlas, tout est à cause de lui ! C’est lui qui a ruiné ma vie ! Je le hais, je le hais, je hais sa famille, je hais ses ancêtres, je hais ses enfants ! J’aurais dû les tuer tous ! Si j’ai quelqu’un à venger, Neaira, je sais désormais que c’est toi ! Je tuerais celui qui a ton sang sur les mains, lui et toute son engeance de démons ! Je revois le bébé ensanglanté que ma mère tenait dans ses bras. Oui, c’est lui ! Il a ton sang sur les mains et même sur tout son corps ! C’est lui ton meurtrier ! C’est un matricide ! La loi des dieux le punira, mais il subira aussi ma justice ! Ce n’est pas un humain, c’est un monstre ! Longtemps il t’a fait souffrir avant de te tuer, mais moi je le tuerai sans le faire souffrir afin qu’il n’ait nulle possibilité d’échapper à son trépas !


Je sens mes yeux me brûler. Mes larmes ont séché et mon esprit est tout entier consacré au fléau qui a pris ma femme. Il sera terrassé ! Il suffit d’un coup bref, net, précis, dans la gorge de cet animal diabolique ! Je me relève. Je ne coure pas, mais je marche d’un bon pas. Cette fois je sais où je vais. Je vais détruire le démon qui se cache sous le masque de l’innocence. Cet enfant n’aurait jamais dû naître ! Il m’a berné trop longtemps, il m’a même fait croire que je serai son père ! Ce cri lorsqu’il est né n’était pas un cri ordinaire, c’était un cri de victoire ! Là où je vais l’envoyer, il ne fera plus de mal à personne !


J’arrive enfin vers la maison de bois. Je m’attends presque à voir Neaira en sortir, mais non, elle ne sortira plus. J’entre. Je vois en premier le drap blanc qui recouvre son corps, rougis par endroits par son sang. Mes yeux s’embrument à nouveau de larmes. Je les refoule. J’ai autre chose à faire ! Je tire mon glaive de son fourreau. L’enfant est sûrement dans la cabane de ma mère. J’y entre. Il est dans un panier, bien emmitouflé dans du drap propre. Il dort, les mains en l’air comme s’il était menacé et les poings fermés prêts à cogner, mais son visage semble bienheureux, goguenard, comme s’il se moquait de moi. Je prends par la hanse son lit de fortune : je lui ôterai la vie dehors, pour ne pas souiller la maison de ma mère. Ni elle ni Stavros ne sont là, mais je n’y fais pas attention. Je pose le panier sur une table de travail que j’avais installé dehors. Je regarde le ciel. Les nuages courent dans la voûte céleste et la lune va bientôt apparaître. C’est à elle que je dédierai mon acte.


Je regarde le petit monstre, glaive en l’air pointé sur lui. Il a dû se réveiller en se sentant emporté car il me regarde avec l’air étonné de quelqu’un qui ne comprend pas, un regard de chouette. Ses yeux sont grands ouverts. La lune apparaît enfin et l’éclaire.


C’est comme une apparition : ses yeux sont d’un gris légèrement bleuté, couleur d’un ciel chargé, mais doux comme des nuages. Ce sont les yeux de Neaira. Je pleure cette fois pour de bon, mais lui ne comprend toujours pas. Neaira, tu disparais de ma vie comme tu y es entré : sans annoncer et en faisant un grand choc, comme une claque dans la nuque qui surprend et qui fait hérisser les poils, comme la lumière qui éblouit puis qui s’éteint, me plongeant dans un noir complet. Tu es venue sans prévenir et tu repars sans laisser de traces, sans laisser de quoi te chérir encore jour après jour…


Mon regard se pose sur l’enfant, les yeux désormais plein de sommeil mais qui lutte pour me regarder encore. Si, tu m’as laissé de quoi te chérir, tu m’as laissé le plus beau des cadeaux, tu m’as laissé un fils.


-« Ô dieux, qu’allais-je faire ? Qu’allais-je immoler sur l’autel de la colère et du chagrin ? J’allais lui voler sa vie et sa mort ! Ce bébé ne peut pas être mauvais, elle l’a purifié et l’a béni par son baiser ! Quel crime infâme m’apprêtais-je à commettre ? Etais-je tant aveuglé par mon cœur trop habile à faire de folles conjectures pour vouloir tuer mon propre fils ? Ô Phoebe Artémis, je te dois cette nouvelle clairvoyance et je tâcherais de faire aller mes pas dans tes désirs ! Rentrons maintenant, petit être, ma folie est passée. Il va falloir te trouver un nom : je veux qu’il soit long comme ton destin ! Tu seras Neairoüs Dallès Xilantès, fils d’Achilloüs, fils d’Atrès, fils de Xilantès. »


Je l’emmène dans ma maison, sa maison. Avant d’entrer, je lâche le glaive qui se plante dans le sol. Dans ses yeux couve la flamme de la vie et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que cette flamme ne disparaisse jamais.


Stavros et ma mère entrent dans la maison.


-« J’ai cru que tu l’avais tué, dit ma mère en allant voir l’enfant.

-Non.

-Avec ton glaive plein de sang, dehors, tout le portait à croire ! »


Ce sang, celui de l’accouchement, il faudra que je le nettoie.


-« Je reprends le petit, ce n’est pas bon de mettre des enfants aux côtés des défunts…

-Non, c’est ici sa maison, et ce mort, c’est sa mère : il ne craint rien !

-Sa maison ? Je crois qu’il serait mieux avec moi ! Qu’en ferais-tu, toi ? Tu ne sais même pas comment on s’en occupe !

-Montre-moi les premiers jours ! Mais en tout cas je l’élèverai moi-même, comme mon fils, car il est mon fils. »


Ma mère et Stavros se sourient.


-« On restera t’aider encore quelque temps, petit ! Et puis, il faudra bien le nourrir, ce gosse, et je dois pouvoir trouver quelques chèvres à ta disposition. »


Je les remercie tous les deux d’un sourire et d’un signe de tête.


Je sais maintenant quel est mon nouveau but, dans ma vie, le seul et l’unique but qui importe vraiment dans ce monde ; ce n’est plus un but sanglant. C’est probablement le meilleur destin pour un homme comme moi : mon but est d’élever cet enfant, de faire de lui un homme sage et averti. Je sais désormais que la paix est la plus belle chose qui soit et que la vengeance ne mène à rien. Je ne serai pas un héros, je ne serais que moi-même. Demain, j’enterrerai mon passé pour m’occuper de son présent. En attendant je veille sur elle et je lui dis adieu.

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