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Gaya sur sa lune
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11 septembre 2008

Le roi de Mycènes : V

Je marche pendant toute la journée, essayant de ne pas penser à l'avenir. Si la déesse m'a protégé jusque là, il n'y a pas de raison qu'elle cesse de m'apporter son soutien.


En fin d’après-midi, j’arrive à un croisement. Je décide d’aller tout droit. Le soir, j’aperçois un groupe de marchands. Ils sont cachés dans un fossé. Je ne les aurais pas vus sans le cri d’oiseau.


Les enseignements de grand-père m’avaient appris à distinguer les contenus des messages des oiseaux, leurs cris de détresse et leurs parades amoureuses. Celui là était en train de crier une présence proche de lui.


Ils sont une vingtaine. C’est pour dissuader d’éventuels brigands qu'ils voyagent en bande. Je descends vers eux. Un colosse dégaine une épée en me voyant. Je m’arrête.


-« Qui es-tu et d’où viens-tu petit ? Et pas de blague, je ne suis pas d’humeur à rire. Qu’est ce qu’un gamin comme toi peut bien faire seul sur la route ? Où sont les autres de ton clan ? »


Je comprends qu’il a surtout peur que je sois accompagné de voleurs. Ce sont les pires cauchemars des voyageurs. A présent, plusieurs hommes se tiennent aux côtés du premier, regardant aux alentours et craignant un raid surprise.


-« Je suis seul, n’ayez aucune crainte. Je ne suis pas un hors-la-loi. Je désire seulement me rendre chez les Mycéniens. Mes affaires et mes origines ne regardent que moi. Cependant, je serais votre obligé si vous me disiez où se trouve la cité que je cherche.

-Par là-bas », me répond un homme en pointant du doigt une direction.


Il désigne la route d’où je viens.


-« Il y a un carrefour, plus loin. Je ne sais pas quelle route il faut prendre !

-La gauche ! »


L’homme a l’air pressé que je m’en aille.


-« Je vous remercie. Encore une question : que savez-vous du chemin qui part tout droit ? Il a l’air lugubre. »


Je veux savoir ce que l’on raconte sur mon village. Tous se regardent, l’air embêtés et terrifiés.


-« Vas t en, petit. Nous ne savons pas. »


Je leur adresse un petit signe de tête en guise de remerciement et m’en retourne sur le chemin.


-« Attend petit ! »


C’est le colosse, celui qui m’avait vu le premier qui m’interpelle ainsi, le visage bienveillant désormais.


-« Nous allons nous aussi à Mycènes. Viens avec nous. Il ne fait pas bon de voyager seul dans les environs. Il n’y a pas de brigands, mais toute cette région est maudite. Si tu fais route avec nous, tu seras plus en sécurité. »


Il avait rangé son arme et les autres en font autant, haussant les épaules. Ils gardent cependant tout de même un air de suspicion. Le géant semble pourtant amical et confiant. Je vais à lui en souriant, a moitié rassuré.


-« Je ne vous prendrais pas trop de place, c’est promis… »


L’homme part dans un brusque éclat de rire qui surprend tout le monde.


-« En effet. Je pourrais t’écraser sans problème et même sans le vouloir ! Tu es si petit que je me demande comment ta voix peut parvenir à mon oreille sans que j’aie à me baisser. Je ne pense pas, en effet, que tu me prennes beaucoup de place. Mais une aide, aussi petite soit elle, ne sera pas de refus pour veiller sur mes brebis. Mon dernier apprenti s’en est allé pour voler de ses propres ailes. Tu n’auras qu’à le remplacer. En plus cela t’évitera de t’ennuyer pendant le voyage. »


Je vais avec lui vers sa caravane. Les autres nous regardent d’un œil que je sens bien opposé à ma venue. Mon protecteur me dit tout bas de ne pas y faire attention, sa grosse main posée sur mon épaule. Soudain je tourne la tête : il me semble avoir aperçu une ombre sur ma droite.


Elle me regarde. C’est une superbe jeune fille. Elle a des cheveux très noirs comme une nuit sans lune. Sa peau semble rouge à cause de la chaleur et de sa transpiration face aux travaux qu’elle doit faire. Ses yeux paraissent noirs dans l’obscurité de la nuit qui commence à tomber. Elle porte une robe marron foncé qui laisse apparaître des sandales et ses chevilles, ainsi que des bras fins mais robustes portant une bassine d’eau. Je la regarde, mais je suis entraîné par le bras encore plus costaud du colosse.


-« Je crains qu’elle ne soit pas pour toi, mon garçon. Son père n’aime pas trop les vagabonds dans ton genre. Et puis ces choses là ne sont pas de ton âge ! »


Je suis honteux qu’il m’ait surpris à regarder la jeune fille, mais certainement pas assez pour me laisser rabaisser encore par ma taille !


-« J’ai quinze ans ! »


Le géant me regarde avec surprise, puis se remet à rire.


-« Tu as peut-être 15 ans, mais tu es quand même un vagabond que son père ne voudra pas pour gendre. Et puis tu sais, tous les jeunes gens et même les moins jeunes ont eu un regard similaire pour elle. Tu n’es pas le premier et tu ne seras certainement pas le dernier, j’en gage. Voilà ma maison. »


La caravane du marchand était en réalité son habitation depuis tout petit. Elle avait été celle de son père avant lui. C’est en fait une charrette peu spacieuse tirée par deux bœufs. Il a aussi une vingtaine de chèvres qu’il attache toujours ensembles pour éviter que l’une ne s’échappe ou se perde. Le mobilier contient une couchette et un coffre où il entrepose tous ses vêtements, ainsi que des tonneaux pour recueillir le lait de ses chèvres.


Au village aussi, on avait des chèvres. On en avait une vingtaine. Elles ont été pillées ou dévorées par les soldats.


-« Pose donc tes affaires, petit, personne ne te les volera. Horus veille. »

Je n’avais jamais entendu perler d’une telle divinité !

-« De quoi est il dieu, Horus ?

-De mon lit ! Horus, je t’invoque, viens à moi ! »


Il éclate de rire. Un gros chien sort de sous la couchette. Il vient se frotter à son maître et s’approche pour me renifler. Je n’ai pas peur, au contraire, sa tête endormie me fait rire.


Il se détourne soudain pour examiner mes affaires. Un grognement sourd sort de sa gorge. Je recule. Je me sens moins rassuré.


-« Voyons ce qui lui pose problème, tu veux bien ? »


J’acquiesce et les énormes mains ouvrent mon baluchon. Il est surpris par son contenu. Il sort bientôt une peau de loup. Je l’avais tué l'hiver dernier. La forêt en subissait une véritable invasion.


-« Combien en veux-tu pour ce cuir ? »


Je suis étonné par la question. L’homme me tend quelques pièces de monnaie. Je les prends, émerveillé. Il jette ma peau dehors et le chien se précipite dessus pour la déchiqueter.


-« Il n’aime pas les loups. Je n’ai jamais compris pourquoi, mais c’est tant mieux pour mes chèvres. Depuis que je l’ai trouvé, il a toujours une peur bleue des loups et les attaque dès qu’il en aperçoit. On ne peut plus le retenir à ce moment là. »


Je regarde ma peau se transformer en loque sous mes yeux par le molosse. J’examine ensuite l’argent qu’il m’a donné. Je n’ai pas la moindre idée de ce que ça représente. Je n’en ai cependant jamais eu autant entre les mains à la fois. En fait la seule pièce que j’ai tenue avant aujourd’hui, je l’ai déposée dans la bouche de grand-père.


-« Comment as-tu eu ces peaux, petit ? Je commence à douter un peu de ta sincérité. Je ne suis qu’un humble marchand et j’apprécie avant tout la confiance, mais lorsqu’un gamin trouvé sur la route et surgi de nulle part exhibe des peaux de bête d’une qualité plus qu’acceptable, je pense être en droit de me poser des questions ! Ne serais-tu pas u petit détrousseur ?

-Je ne suis qu’un honnête chasseur et ces bêtes là ont reçut la marque de mes flèches. Ce sont mes mains qui les ont dépecées ! »


Je suis irrité par les sous-entendus de sa question !


Il regarde mon petit arc et mes flèches comme s’il les voyait pour la première fois. Il semble apprécier le travail habile de mon père, qui l’a si bien taillé et sculpté.


-« Prouve-le ! »


J’empoigne mes armes, décidé à lui en mettre plein la vue. Ses chèvres étaient attachées par une corde au tronc d’un arbre. J’encoche résolument la flèche et bande la corde. Je tire avec assurance. La flèche se fiche avec un sifflement sur la corde, la coupant presque en deux. La flèche reste, encore vibrante, dans l’arbre. Le géant se dépêche en grommelant d’aller renouer comme il peut la ficelle avant qu'elle ne lâche complètement.



Je sens un regard sur ma droite. Elle est là. Elle me sourit et je lui rends son sourire. Elle tient une bougie pour s’éclairer. Elle devait revenir de la forêt, car le camp est relativement bien éclairé. Cependant, cette flamme qu’elle protège de sa main gauche est la seule source de lumière là où elle est. Son visage est blanc, tout comme ses bras. Elle projette derrière elle une immense ombre rassurante. Elle repart. Je la suis des yeux. Elle est probablement un peu plus âgée que moi, mais pas de beaucoup.


Un rire me tire de ma rêverie.


-« Avec toi, pas besoin de craindre les voleurs ! Qu’ils approchent donc d’un pas et leur pied s’en sortira troué ! Cependant la prochaine fois, si tu pouvais éviter mes chèvres… Je ne voudrais pas qu’elles s’en aillent. Allons, à la soupe gamin ! Viens donc partager ton repas avec nous autres ! »

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