Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Gaya sur sa lune
Derniers commentaires
10 septembre 2008

Le roi de Mycènes : IV

Je me réveille en sursaut et en sueur. Je suis sur un lit d’herbe dans une petite hutte de bois. Il y a aussi une table et une chaise. Des mûres sont sur la table et je ne cherche pas plus loin. Je me lève et les mange, j’ai trop faim. Je me moque de l’endroit où je suis, serait-ce même chez Polyphème le cyclope d’Ulysse !


J’ai à peine fini qu’une silhouette se tient dans l’encadrement de la porte. Je le reconnais tout de suite. Une vague de joie et de soulagement incrédule me traverse et je me sens à nouveau tout petit et protégé.


-« Je crois bien qu’il va me falloir repartir à la cueillette ! Tu m’accompagne ?

-Grand-père, par tous les dieux, mais je te croyais…

-Moi aussi gamin, je te croyais mort. Et voilà que je te trouve à terre brûlant de fièvre, mais toujours vivant. Je comprends maintenant pourquoi les dieux m’ont sauvegardé.

-Comment se fait il que tu aies…

-J’étais là, petit, lors de l’attaque. Je viens ici presque tous les jours depuis que ta grand-mère est décédée. C’était notre maison secrète de notre jeunesse, si tu veux. Elle est pleine de souvenirs heureux. Je te raconterais ça plus tard. Et si tu me racontais ce qui c'est passé! Ta vue est un tel baume sur mon cœur! »


Je lui expliquais tout ce que je me souvenais, depuis notre retour de la chasse au village. La promesse à mon père, sa mort, mon impuissance, ma honte, maman, le village et l’odeur de chair brûlée. Je n'omis rien, revenant sur certains passages qui avaient besoin de sortir de mon esprit. Cela me fit du bien, je me sentis beaucoup mieux, soulagé après ça.


-« Je suis sûr que ton père comprend tout à fait que tu n’aies pas pu tenir une promesse intenable. Ne crains rien maintenant. Tu es à l’abri ici, en sécurité. Voilà cinq jours que tu dors. Tu ne t’en souviens pas, mais tu t’es plusieurs fois réveillé, quelques instants, mais tes délires reprenaient à chaque fois. Tu disais voir des mouches et des yeux pâles. Tu m'as bien fait peur parfois, mais te voilà enfin là, dans le monde des vivants. Et maintenant, j’ai une surprise pour toi. »


Il me tendit un petit arc et des flèches.


-« Je les ai trouvés à quelques distance du village. Tu as dû les laisser tomber dans ta précipitation. Je comptais vraiment pouvoir te les rendre. »


Je prends les armes qu’il me tend et le remercie.


-« Il faut s’occuper des morts, grand-père, il faut leur donner une sépulture. Il faut que papa puisse reposer en paix et il faut les venger, c’est notre devoir…

-Je les ai déjà incinérés, petit, ils ont la paix maintenant. J’ai éparpillé leurs corps aux vents. Repose-toi, gamin. Je n’ai plus qu’une pièce et elle est pour moi, pour mon propre voyage. Il n’y a plus d’âmes vivantes ou mortes au village ! Repose-toi petit chasseur.

-Grand-père, si c’est toi qui leur as donné la sépulture, c’est à moi de les venger ! »


Je me sens si fier de ma résolution, je sais que c'est ce que je dois faire, j'ai survécu dans cet unique but, ce sera mon destin jusqu'à la fin de ma vie ou jusqu'au devoir accompli. Mon grand-père ne dit rien mais il acquiesce. Il ne sait pas encore que je suis un homme et il croit que cette pensée est venue dans le cœur d’un enfant. Je préfère ne pas lui dire qu’il n’abrite pas un gamin. Cela risquerait de l’attrister. Je baisse la tête pour qu’il ne voit pas mon regard d’homme neuf et je me recouche.


Lorsque je me réveille l’après-midi, mon grand-père me dit qu’il y a de la viande au repas, parce qu’il a conservé un cerf entier tué par les chasseurs peu avant l’hécatombe du village. Je lui dis avec fierté que c’est moi qui l’ai eu, et du premier coup qui plus est !


-« Tu es alors un très bon chasseur. Avec toi, je ne risque pas de manquer de nourriture ».


Je lui avoue que c’est le premier que j’ai eu, et sans le faire exprès encore. Ça le fait rire. Je pense que c’est à cause des débuts de mon père qu’il rit ainsi. Je souris aussi pour lui faire plaisir.


Dès ce jour-là, il m’apprend avec précision comment tenir l’arc, comment le bander, comment prendre compte du vent, comment tirer loin. Il m'enseigne les bruits de la forêt, comment les analyser, comment se repérer avec pour trouver une proie. Il fait de moi un vrai chasseur, et un pêcheur aussi. Il y a un petit lac plein de poissons, là où nous vivons.



Cela fait déjà trois ans que nous vivions ensemble. Aujourd’hui, c’est à mon tour de partir à la pêche pour la journée. Il me lance :


-« Tu sais, à ton père aussi, j’ai dû apprendre tout ça ! Ne crois pas qu’il ait su tous ces secrets tout seul ! Je crois qu’il avait de toute façon décidé de te les enseigner. Je tiens à te dire que tu apprends plus vite que lui. Étant jeune, mon fils était plus un chasseur de filles que de cerfs. Il est devenu plus sage après. »


Il a un petit sourire en se replongeant dans ces souvenirs.


-« Tu lui ressemble beaucoup, mais tu as quand même un petit quelque chose de ta mère. Je suis sûr qu’ils sont très fiers du petit homme qu’ils ont fait et moi aussi. Ne l’oublie jamais. »


J’ai peur. Mon père ne m’avait-il pas dit à peu près la même chose avant de mourir ? Mon grand-père lui aussi ne pressentait-il pas sa fin ? Il part de son côté. Je crains que ce soit pour toujours. Je n’ose pas le lui demander.


Le soir, lorsque je ramène ma pêche au cabanon, je redoute de ne plus le voir. Il est pourtant bien là. Il sourit même en me voyant arriver, son visage plein de fierté et de gourmandise devant ce que je rapporte. Je ne veux plus penser à ce qu’il m’a dit, alors je demande :


-« Dis-moi, comment as-tu su que grand-mère serait ta femme ? »


Il sourit faiblement. Je n’aurais peut être pas du lui rappeler de tels souvenirs. Je m’en veux un peu.


-« Son père ne m’appréciait pas beaucoup, vois-tu. En ce temps là, il y avait encore les deux villages. Si les bûcherons et les chasseurs faisaient du troc, on ne se mélangeait surtout pas. Lui était un bûcheron et par conséquent voulait donner sa fille à un bûcheron et non à un jeune chasseur comme moi. Les bûcherons à cette époque étaient riches car ils commerçaient beaucoup avec Sparte. Seulement, ta grand-mère et moi, nous étions déjà liés dans l’amour. Dès qu’on le pouvait, on se retrouvait ici même, dans cette cabane, et c'est ici-même que l'on a conçu ton père. Mais ça, ça ne lui a pas plu au vieil imbécile, lorsqu’il l’a su, ça non ! » Il rit. « Alors il a abdiqué, pour sauver son honneur et m’a donné sa fille. On avait gagné. Qui aurait voulu d’un bébé qui n’est pas le sien de toute façon ! Seuls des grands amoureux et encore ! Mais nous c’était bien le notre… »


Moi qui pensais que les histoires d’amour, du vrai, ça n’existait que dans les mythes et les contes, je suis ravi ! Mon grand-père commence à me raconter une légende, mais je ne l’écoute plus. Je m’envole déjà au pays des rêves. Moi aussi, plus tard, j’aimerais une fille. Et on sera comme mes grands-parents.


Maintenant que je suis un homme depuis trois ans, je peux tout faire. Je m’endors sur cette pensée heureuse.


Le lendemain je me réveille en pleine forme. Il dort encore. Je pars chasser pour lui faire une bonne surprise. J’ai un lapin. Je rentre. C’est une belle bête. J’en ferais un protège tête pour mon grand-père, pour la saison froide. Il m’a appris comment faire.


Lorsque j’arrive, il dort encore. Ce n’est pas habituel, la plupart du temps, il se réveille à mon retour au plus tard. Je vais à lui. Il a les joues creuses et une barbe qui commence. Comme tous les matins, il faudra qu’il se la rase. Quelque chose me dit cependant qu’il ne le fera pas.


Sa peau est si blanche et ses traits creux. Je sais qu’il est mort et quelque part en moi j'ai l'impression d'être abandonné. Mais je ne pleure pas. Maintenant, il est heureux. Il va retrouver sa chère épouse. Je l’embrasse sur le front, poussé par un élan qui vient du fond du cœur.


-« Je t’aime, grand-père », je lui murmure.


Une petite larme finit quand même par couler sur ma joue mais je l’essuie. Je suis un homme et les hommes ne pleurent pas.


Je mets les peaux que nous avions gardées dans un baluchon, ainsi que de la nourriture. Je prends la dernière pièce de bronze qu’il gardait. Je la lui dépose dans la bouche pour qu’il puisse payer le passeur. Je sors et mets le feu à la maison. Le sol est tellement humide de rosée que ça ne craint pas grand chose et les arbres sont loin alentours.


Je fais une prière à Hadès et Perséphone pour son salut et me retourne. Je pars, bien décidé à ne plus regarder en arrière et faisant face à mon destin.


Je passe par les ruines du village. Je ne suis même plus capable de retrouver ma propre maison dans les hautes herbes. Je ne m’arrête pas. Je pars. Je vais à Mycènes pour venger les miens avec mon arc et mes flèches. Je retrouverais le blond et le seigneur, et je les tuerais tous les deux. Je retrouverais ma mère et je la sauverais. J’ai bientôt 15 ans, et je suis un homme. Je suis un chasseur. Le feu n’a pas l’air de vouloir se propager. Je continue devant moi. Une larme coule et d’autres suivent. Je suis sans famille, sans patrie, mais je ne pensais pas que quitter sa terre natale soit aussi dure. Mais j’étais un homme et je souffrais en silence.

Publicité
Commentaires
Publicité
Newsletter
Archives
Publicité