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Gaya sur sa lune
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15 septembre 2008

Le roi de Mycènes : IX

Je me sens à nouveau seul. Très seul. Petit aussi, très petit. Faible enfin, très faible. Je vois en pensées le visage de ma belle qui s’éloigne. Qu’il est dur d’avoir un but qui fait s’éloigner tous les gens que j’aime ! Mais c’est mon fardeau. Je n’ai pas à le repousser. Je dois aller jusqu’au bout, quel qu’en soit le prix à payer. Je me lève et me regarde dans le miroir du marchand. Mes cheveux me tombent sur les yeux, je les relève. Je ne vois pas du tout ce qui a pu faire dire au marchand que j’avais peur ou que j’étais possédé par la haine. Mes yeux bruns ne me racontent rien du tout, à moi. Je pose le miroir.


Je prie les dieux de bien vouloir me faire grandir, mais aucun miracle ne vient. Je suis assez costaud, sous mes allures de gamin, mais il faudra l’être encore plus si je veux ressembler vraiment à l’homme que je suis. Je retourne aux bœufs. Les animaux commencent à se montrer fatigués, nous allons devoir faire une pause. La première charrue descend déjà au bord de la route, les autres suivent. Je trouve moi-même un bon emplacement et tire sur les rênes. Les bovins s’arrêtent docilement. L’Egyptien est réveillé et me laisse faire. J’attache les animaux à un arbre après avoir calé la roulotte. Un ruisseau coule non loin, j’y vais pour chercher de l’eau pour les bêtes. Nous mangeons rapidement et nous retournons sur les routes.


L’après-midi, je descends de la roulotte ; j’étouffe d’être là-dedans. Je préfère marcher. Les chèvres de toute façon suivent, toujours attachées, le bouc devant. Je me laisse distancer. Une corde s’enroule soudain autour de ma taille.


-« Oh ! Désolé petit, je ne t’avais pas vu ! »


C’est le père de la jeune fille. Il m’a enroulé dans son fouet, mais il n’a pas réussi à me faire mal. Je suis sur sa droite. J’attrape la lanière qu’il m’a envoyée et tire de toutes mes forces. Il essaie de garder son fouet mais tire de ce fait involontairement les rênes à gauche. L’animal obéissant commence à tourner. L’homme le redresse, mais pour ce faire, il m’abandonne le fouet. Je monte à l’arrière de sa caravane pour en faire descendre sa fille, puis retourne devant pour fouetter le bœuf et le faire avancer plus vite. Lui tire sur les rênes pour les ralentir. Devant ces deux signes contraires, s’emballent et se mettent à courir. Je n’ai que le temps de lancer le fouet à son propriétaire et sauter sur le côté pour ne pas être piétiné, car les bêtes tentent de doubler les autres marchands par la droite, c’est à dire où je suis.


La jeune fille m’aide à me relever, ravalant avec difficulté un sourire, car bien que ce soit son père, elle ne peut s’en empêcher. Les autres marchands rient aussi en le voyant passer. Heureusement pour moi, mon acte n’a aucune conséquence sur ses fruits. Finalement, on continue à pied sa fille et moi. Lorsqu’elle est fatiguée, et je commence à l’être aussi, on monte dans la caravane de mon maître, qui ne voit pas ça d’un très bon œil, mais qui ne dit rien.


Le soir, lorsqu’on est tous les deux allongés dans l’herbe, on rit encore de cette farce. Je lui avais pourtant dit que si l’on se rencontrait à nouveau, il vaudrait mieux pour lui de fuir à toute vitesse, mais je voulais parler d’après notre séparation à Mycènes !



Cela me ramène à la réalité de notre séparation.


Les trois derniers jours me paraissent étonnamment rapides. Dans la soirée du dernier, nous arrivons enfin en vue de notre destination. Il fait nuit lorsque l’on entre dans la cité, mais je peux déjà imaginer les grands bâtiments menaçant de chaque cotés de la rue. Nous nous dirigeons vers une immense auberge exclusivement occupée pour des marchands. On nous donne une chambre, mais je préfère dormir dans la roulotte.


Elle réussi à échapper à la vigilance de son père et vient me rejoindre. Elle me raconte qu’il dort, qu’il est ivre, comme chaque fois qu’ils arrivent à destination. Je vois qu’elle pleure. Moi aussi. Je l’attire à moi pour ne plus voir son visage triste.


-« Nous repartons dès demain, le temps d’entreposer nos marchandises, me dit-elle.

-Moi je reste. Demain nous ferons le marché, maintenant que mon maître a fini ses fromages, et après-demain aussi. Ensuite il y aura la foire aux bêtes. »


On reste silencieux, chacun dans les bras de l’autre.


-« Je m’appelle Neaira.

-Achilloüs. »


Neaira… Tu es la seule à savoir mon nom maintenant. Je voudrais être le seul à connaître le tien. Soudain elle m’embrasse, d’un vrai baiser d’amoureux.


-« On passe trois fois par an à Mycènes. On se reverra peut-être. »


Elle s’en va. Je voudrais la retenir mais je ne peux pas. Je m’endors dans la caravane. L’Egyptien m’a laissé Horus qui ronfle déjà.


Le lendemain, mon maître me réveille bien avant l’aube. On va sur la place du marché. Lorsque le soleil se lève, notre étal sur l’agora est déjà en place. La cité s’éveille et il appelle les clients. J’essaie de voir des yeux bleus pâles dans la foule de plus en plus compacte. Si je ne le vois pas avant que mon maître soit reparti de Mycènes, je ferais une enquête. En attendant j’ai quatre jours devant moi. J’ai l’impression d’être observé, mais je ne trouve pas celui qui me regarde. En même temps, je dois répondre à de nombreuses demandes.


-« Alors l’Egyptien, tu te décides enfin à prendre quelqu’un avec toi ? Viens que je te paye un verre, ça fait longtemps que je ne t’ai pas vu. Tu me raconteras ce que tu deviens. »


Je dis à mon maître d’y aller et que je peux m’occuper de la vente tout seul. Une femme me demande si je suis son fils, je lui réponds que je suis seulement son ami. En tout cas il connaît apparemment du monde par ici et il semble plutôt bien apprécié. Il revient une demi-heure plus tard.


Je pense que mon sentiment d’être observé est dû aux grands bâtiments de part et d’autre de la route. Je ne me sens pas à l’aise, dans cette grande ville. Les arbres se font rares et je suis comme étouffé. L’air lui-même semble vicié. Je ne parle pas. Je suis ici pour me venger : je le ferais. Je pense à Neaira. Son image est toujours en moi, mais elle semble déjà s’éloigner.


Mon sentiment d’être observé me quitte soudain. Je me tourne dans tout sens, mais je n’arrive pas à voir lequel de tous ces passants est celui qui me surveillait. Je regarde de nouveau devant moi et vois un môme en guenille qui vient de me chiper un fromage et s’enfuit. Je cours pour le rattraper, mais une grosse main me tire en arrière.


-« Ce gosse vient de voler un fromage !

-Deux, mon garçon. Il me fait le coup à chaque fois que je viens. Laisse-le faire, laisse-le manger. Tout le monde ici le connaît. Si tu chipotes pour un fromage, si tu n’aides pas les pauvres gens, personne ne t’appréciera. Je ne manque pas de clients ni d’argent, mais lui manque de nourriture. Les dieux ont fait le choix de le contenter par moi. »


Il a raison, mais si j’avais voulu récupérer le fromage, c’est surtout parce que j’avais été furieux de m’être fait surprendre si facilement. En tout cas, si quelqu’un m’observait, c’était probablement cet enfant. C’est ça, probablement… Mais au fond de mon cœur j’en doute.


Le soir, on rentre à l’auberge. Nous allons dans la grande salle au rez-de-chaussée. Des gens mangent et boivent à des tables. C’est ici que ce racontent de nombreuses histoires de pays étranges. Un homme saoul se lève soudain. Le vin a fait rougir son visage.


-« L’enfant du pays maudit s’est réveillé. Il y a sept soleils, des voyageurs ont dit l’avoir vu. Il est sortit dans un nuage de fumée de la forêt. Préparez-vous à sa venue, car il abattra tout sur son passage… »


Le propriétaire sort de derrière son comptoir pour aller coucher l’homme, mais celui-ci refuse. Tous dans la salle ont entendu parler de mon feu d’il y a sept jours, ils sont embêtés. Ils ne savent pas s’il s’agit d’une légende ou d’une réalité. Ce soir, tous prieront sûrement pour que ce soit faux. A part moi et mon maître, personne n’a de certitude. Je commence à me demander si certains faits dans notre religion n’ont pas débutés par des histoires très simples comme la mienne. Mais cependant que la crédulité des gens a des limites. Ce n’est pas le moment de douter des dieux alors qu’ils m’ont conduit là où je devais aller sans dommage et en une semaine. Je repense à Neaira. Pas sans dommage, en fait.

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