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Gaya sur sa lune
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14 septembre 2008

Le roi de Mycènes : VIII

-« Viens t’asseoir à côté de moi, petit. »


J’y vais, mais je me tiens à distance. Je crains l’entourloupe.


-« Tu sais petit, quand je t’ai vu descendre vers nous, j’ai cru que tu étais un fantôme. Tu marchais seul, ce qui est déjà étrange, et à moins d’un jour de marche du village maudit. Les autres ont préféré ignorer l’hypothèse que tu sois l’enfant tourmenté, mais j’ai vu tes yeux, petit. Sais-tu ce que j’y ai lu, petit ? J’y ai lu de la haine, de la peur et de la tristesse. J’y ai lu la même chose que dans le regard d’Horus quand un loup rôde. Il n’était pas difficile de faire le lien avec le village maudit. »


Je reste muet. D’où sort cet homme qui sait lire les cœurs ? Les Egyptiens sont des gens très étranges !


-« Tu veux mon conseil, petit ? La vengeance n’est pas une belle chose. Elle ne te fera jamais trouver la paix. Oublie ton projet, il n’est pas bon. Je suis seul depuis trop longtemps, petit, et ta présence me fait du bien. Reste avec moi. Pardonne à ces hommes. Leur dernier jugement te fera justice. Tu sais, petit, la vengeance attire la vengeance. Vis tes rêves, petit. Tes rêves ne sont-ils que colère ? Je ne te demande pas d’oublier, petit, je te demande de pardonner. »


Il ne m’a pas regardé, lorsqu’il a parlé. Il me semble vieux, tout à coup, et seul. Mais il n’a pas vécu ce que j’ai vécu, il n’a pas promis ce que j’ai promis. C’est vrai, je ne pourrais jamais oublier, mais pour le moment, je ne veux pas non plus pardonner. Je ne le lui dis pas. Je ne veux pas l’attrister. Cela va être dur, de faire mes adieux, à elle et à lui. Je les ferais plus tard, j’ai encore le temps.


La nuit tombe. On établit le nouveau campement à l’écart de la route, pour éviter d’être repérés. On dissimule le chemin par lequel on est passé sous des branches. Le repas s’annonce mais je reste à coté des chèvres. Tous vont manger en rond.


Je m’allume mon feu un peu plus loin et à l’abri des regards. Horus me tient compagnie. Je réfléchis à ce que je dois faire. Quatre visages et une paire d’yeux me hantent. Je vois mon père, mon maître, ma mère et la fille du marchand… Et les yeux bleus froids du soldat.


Je suis ainsi depuis presque une heure, lorsqu’elle arrive. Elle s’assoit en face de moi, derrière le feu. Je peux le voir flamboyer dans ses yeux gris. Elle regarde les flammes, je la regarde. C’est elle qui brise le silence.


-« Tu vas rester à Mycènes ?

-Oui.

-Tu vas me quitter, alors. »


Je la regarde en silence. Je ne dois plus nous mentir.


-« Oui. »


Elle se lève. J’ai peur qu’elle s’en aille, mais elle s’approche et s’assoit tout à coté de moi. Je m’étends sur l’herbe, les bras en croix. Je voudrais avaler ainsi l’infini des étoiles. Elle se couche aussi. Sa tête se pose doucement sur mon bras.


-« Nous serons toujours amis, n’est-ce pas ? »


J’ai peur de ce ‘’toujours’’. Pour moi, ça ne fait aucun doute, mais je n’ai pas envie de la contraindre par la suite.


-« Toujours. »


Je comprends alors que nous ne serons jamais plus qu’amis. Ca me soulage, en un certain sens. Grâce à cette nuit, nos adieux après seront moins durs. On reste ainsi, sous la voûte céleste illuminée. Elle a la tête toujours posée sur mon bras, vers ma poitrine. Je mets ma main sur son bras. Elle frissonne, mais il ne fait pas froid. Je ne veux pas qu’elle rentre, je ne lui propose pas. On s’endort. Je ne fais pas de rêve, je m’abandonne à sa chaleur.


Un sifflement me réveille. Je n’ai pas le choix : je lui fais quitter son sommeil. Son visage tout juste sorti de la nuit me semble encore plus beau. Elle m’embrasse le front, dit bonne nuit et part rapidement.


-« Bonne nuit… »


Je crois qu’elle ne m’a pas entendu.


L’Egyptien arrive.


-« Dors bien, petit, dors bien. Horus veille. »


Du quel parle-t-il, du chien ou du dieu ? Le premier dort à côté de moi. Je pense qu’il devait faire référence aux deux. Je me laisse aller au sommeil, mais ce n’est plus pareil : aucune jeune fille ne dort sur mon bras.


Je vois mon père. Il me dit d’aller chercher ma mère. « Si tu es mon fils, tu ne dois pas laisser mon crime impuni. » Une voix arrive derrière moi : « Si tu vas à Mycènes, tu vas me quitter. Je t’aime, Achilloüs ! » Je me retourne. Elle est là, mais ses yeux sont devenus bleus pâles. Elle disparaît, mais les yeux restent. Ils sont froids. Je crie. Une bouche vient ricaner devant moi. Ma mère apparaît. « Sauve-moi Achilloüs. Aide-moi mon fils. Je t’aime. Tu as dit que tu viendrais. Pourquoi faillis-tu à ta promesse ? » J’essaie de l’attraper, de la retenir, mais elle s’en va. Je suis seul. De grandes flammes se dressent autour de moi. Elles se transforment peu à peu en cavaliers rouges. Leurs armures dégoulinent de sang. Leurs yeux sont tous bleus pâles. Mon arc a disparu. Ils pointent tous leur épée sur moi. On m’attrape soudain les bras.


Je sens que l’on me secoue. L’Egyptien est devant moi. Je suis tremblant de sueur.


-« Viens. »


J’entre à sa suite dans la caravane. Il m’offre un bol de lait de chèvre.


-« Je n’ai jamais vu quelqu’un s’agiter autant pendant son sommeil ! J’ai bien cru que tu étais possédé par quelque mauvais esprit ! »


Je bois puis lui raconte mon cauchemar. Il ne dit rien, ni ne me coupe.


-« Tu y serais encore si Horus ne m’avait pas prévenu. C’est un bon chien et il t’aime beaucoup. »


Il essaye par ces paroles de me retenir, mais je suis décidé à accomplir ma vengeance. Je sais que je devrais le quitter là-bas. C’est le seul moyen de ne plus faire ces cauchemars qui reviennent sans cesse. En plus j’ai les légendes pour moi. Je suis déjà un fantôme. Que craindrais-je maintenant ?... Mais je me sens quand même un peu petit.


-« Comment c’est, Mycènes ?

-C’est grand, une immense cité, pas un petit village. Le cousin du roi mène les affaires du royaume assez durement, mais ce qu’il fait tient la route. Ses gens l’aiment et ceux qui ne l’aiment pas se retrouvent, de quelque façon que ce soit, en prison. C’est tout de même une cité qui prospère grâce à lui. Le roi lui-même ne fait pas grand-chose, mais son cousin en profite. »


Ainsi cet homme est une sorte de héros pour son peuple ! Ces mycéniens sont vraiment étranges, ils fondent leur honneur sur la destruction de mon village. Mais je briserais cette cité. Je ne sais pas encore comment, mais je la détruirais. Je suis désolé, l’Egyptien, mais je ne pourrais pas rester avec toi. Je crois qu’il le sait déjà.


Je ressors pour dormir, mais je n’ai pas sommeil. J’ai besoin d’être seul. J’ai besoin d’elle. Je veux la sentir près de moi pour sombrer dans la paix. Elle dort, probablement. Je comprends que je suis resté seul trop longtemps, mais c’est mon sort. Je dois l’accepter. Elle ne viendra jamais avec moi, il n’y a pas de solution. Je devrais la quitter. Je le sais maintenant.


Mes pas m’ont mené à l’intérieur du cercle des caravanes. Je peux voir à la lumière des étoiles les cendres du feu d’hier soir.


-« Tu ne dors pas gamin ? Un gredin dans la nuit ! On pourrait se méfier. Que fais-tu là ? »


C’est apparemment au maraîcher de surveiller le camp. Je vais vers lui. J’ai bien envie de rester avec quelqu’un finalement, même si c’est lui.


-« Je n’arrive pas à dormir.

-Je sais, je t’ai entendu tout à l’heure. Tu te crois drôle, galopin ? Tu penses que je ne sais pas où tu étais cet après-midi ? Je ne veux plus que tu t’approches de ma fille ! Tu ne me connais pas et je veux bien te pardonner pour cette fois, mais les mômes comme toi, je sais quoi en faire, moi ! L’Egyptien est un homme trop confiant, mais ça ne fonctionne pas comme ça avec…

-Taisez-vous ! Vous ne savez rien sur moi non plus ! Je fais ce que je veux et vous n’êtes pas assez puissant pour m’en empêcher ! Quant à votre fille, elle n’a aucune crainte à avoir. De toute façon, vous serez bientôt débarrassé de moi. Je tenais aussi à vous dire que vous me semblez tout à fait antipathique et que si un jour je venais à vous rencontrer à nouveau, mon conseil serait de monter dans votre charrette et de remplacer vos bœufs par des chevaux costauds, parce qu’il vaudra mieux pour vous d’aller vite ! »


Je m’en vais. Cette férocité qui sort de ma bouche me fait peur et le surprend, assurément. C’est la puissance de l’homme qui est en moi, mais avec ma petite taille, je doute qu’elle soit vraiment effrayante.


-« Tu ne perds rien pour attendre, impertinent galopin », me crie l’autre dans mon dos.


Mycènes est encore à quatre jours de voyage, mais quelque chose en moi à hâte d’y être. Je rentre sans bruit dans la caravane de mon maître. Horus ne bronche pas et me laisse prendre plusieurs tonneaux et un seau. L’aube pointe. Je ne peux m’empêcher de penser que l’autre avait raison sur un point : l’Egyptien est trop confiant. Si j’étais malhonnête, j’aurais facilement pu lui voler tous ses biens !


Je commence à traire. Les chèvres ne bronchent pas, elles en ont l’habitude. C’est l’heure qui les étonne ! Je vais plus vite que la veille et les tonneaux se remplissent mieux. J’ai décidé de faire cela pour remercier le marchand de son accueil, de son amitié et de sa foi en moi. Cela vient du cœur, je le sais. Je repose les bidons dans la caravane un à un. Lorsque je ressors, après avoir posé le dernier, je la vois. Elle me regarde, j’ignore depuis combien de temps.


-« Tu vas chasser ?

-Oui.

-Tu m’emmènes ? »


Mon père n’a jamais emmené ma mère à la chasse ! C’est là une affaire d’homme ! En plus elle ignore tout de cet art et elle risque de faire du bruit !


-« D’accord ! »


Je prends mon arc et mes flèches. On s’enfonce dans la forêt. Je m’assois à coté d’elle contre un arbre. Je lui traduis les cris des oiseaux. Je repère un animal non loin. C’est une biche. Je la lui montre. Elle est ravie. Je ne tire pas la bête, Artémis l’interdit, et en plus ce serait trop gros à transporter dans la caravane. La biche lève la tête et s’enfuit soudain. Le camp s’éveille et fait du bruit, c’est pour ça. Nous rentrons. Je n’ai plus très envie de chasser. On se sépare. Je retourne voir mon maître qui est réveillé. Il me gratifie d’un grand sourire lorsqu’il me voit.


-« Ne serais-tu pas un génie mon garçon ! Tu as trais toutes mes chèvres. Tu es un bon petit, encore que ta discrétion me fasse un peu peur. Viens boire un peu. Ta chasse n’a pas l’air d’avoir été bonne. Ce n’est pas grave, tu mangeras avec moi. »


J’accepte ses propositions. Il demande soudain :


-« Combien as-tu d’argent, petit ?

-Je ne sais pas, pourquoi ? »


Il semble étonné.


-« Tu ne sais pas compter ?

-Si, bien sûr ! Mon père m’avait appris, pour emmagasiner assez de nourriture pour l’hiver, parce que la chasse est plus dure à ce moment là. Je sais compter jusqu’à trois par trois jusqu’à beaucoup !

-Compte ton argent alors ! »


Voulant prouver mon savoir, je sors l’argent qu’il m’a donné.


-« J’ai onze.

-Non ! »


Je lui montre mes onze pièces avec un air de défi.


-« Regarde : sur celle-là tu as cinq, sur ces quatre là tu as deux et les six autres tu as un. Maintenant calcule : 5, 2, 2, 2, 2 et six un. »


Mon père m’avait appris à compter et à additionner les têtes de bêtes sur mes doigts.


-« Ca fait 19 !

-Exact, 19 deneraii. »


C’est l’heure de s’en aller. Les caravanes se remettent en route. Lorsque les bœufs sont sur le chemin, le colosse m’envoie une bourse pleine.


-« Compte ce qu’il y a là dedans ! »


J’ouvre le petit sac. Une centaine de pièce d’argent tombent sur le lit. Je commence les additions, mais je m’embrouille. Je recommence, mais à chaque fois c’est la même chose, je finis par me perdre. J’en viens à ne plus avoir de patience. Il faut dire que ça fait bientôt une heure que j’y suis dessus. Je lui donne des nombres au hasard, mais ce ne sont évidemment jamais les bons. Il rit, je m’énerve. Il s’approche alors de moi et sort de sous son lit une sorte de harpe carrée à perles.


-« Ceci jeune homme, est une machine à calculer. Elle fut celle de mon père avant d’être la mienne. »


Il m’explique son fonctionnement pendant deux heures, mais je finis par comprendre. Après cela, en un quart d’heure, j’arrive enfin à donner le montant de la bourse. Il y en a 392.


-« 392 quoi ? »


Je ne me souviens plus.


-« Deneraii, imbécile ! On se demande ce qui arrive à rentrer dans ce crâne vide ! »


Je ris. Pendant toute la matinée, je venais de lui faire répéter toujours la même chose. Il avait de quoi être énervé ! Je reprends mon sérieux. Il a sûrement fait tout ça pour que je reste avec lui, pour que je devienne marchand. Je suis pourtant décidé à partir. Je vais quand même m’asseoir à coté de lui. Il me donne le fouet et les rênes. Je sens à travers la force paisible des puissants animaux. Horus vient aussi me tenir compagnie. Lui aussi, je vais avoir du mal à le quitter ! Tous deux s’endorment à mes cotés.

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